» Première famille de 5 personnes
C'est la mère qui prend la parole
"Ca
fait 3 ans qu'ils sont sur le toit. On n'a pas le droit d'y aller,
d'utiliser la citerne d'eau, les escaliers, d'ouvrir les fenêtres...
Pour l'eau on demande au voisin d'en face, il a un puits. La nuit ils
montent et descendent les escaliers bruyamment, ça nous réveille. Deux
fois par semaine, on doit sortir pour qu'ils puissent fouiller
entièrement la maison.
Une
fois, un soldat m'a mise en joue parce que je voulais aller nettoyer
l'escalier, il m'a hurlé dessus et m'a ordonné de rentrer chez moi. Une
autre fois j'étais sortie faire les courses et ils m'ont empêché de
rentrer. " Il ne fallait pas sortir " m'ont-ils dit. J'ai attendu
longtemps dehors et à un moment j'ai réussi à me faufiler à
l'intérieur. Je ne sais pas combien ils sont mais ils sont très
nombreux là haut.
Lors de la 1ère invasion de la maison, ils
étaient 30 soldats et un officier. Ils ont cassé les portes, les
fenêtres. Ils nous ont enfermés dans la maison et nous ont posé des
questions sur le nombre d'habitants. C'était effrayant. Depuis, ils ont
fermé l'escalier, si on y va ils nous tuent. Il y avait une autre
famille en haut mais ils sont partis depuis 2 mois, alors ils ont aussi
pris leur appartement. Avec l'occupation du toit on était déjà
prisonniers, mais là ils se sont rapprochés d'un étage, alors on a
peur, on n'est pas tranquilles la nuit, l'étau se resserre. Nos amis,
la famille ne viennent plus nous voir, ils ont trop peur. Ma fille qui
vit en Jordanie n'avait pas osé venir me voir depuis 3 ans. Elle n'a
droit qu'à un mois de séjour, après ils lui retireront son passeport
jordanien.
Il y a des colons dans l'immeuble d'à côté, ils
nous jettent des cailloux, ils ont cassé la fenêtre. Ils jettent aussi
leur ordures chez nous."
» Mère et ses dix enfants
Pour rejoindre la maison il nous faut marcher un petit moment par un
petit chemin escarpé, caillouteux et glissant, courbés sous les vignes
et les oliviers, passer par la cour d'un voisin, car tous les accès "
normaux " ont été coupés, barrés ou gardés par des chiens. En arrivant
sur le pas de la porte d'entrée, on réalise en levant la tête que les
soldats sont immédiatement là, juste au-dessus de nous. Une carte à
jouer traîne par terre.
"Notre maison est occupée depuis 5 ans, depuis qu'un colon a été tué par ici.
Mon
mari a un travail maintenant, mais c'est loin alors parfois il ne peut
pas rentrer à la maison. Parfois il peut aller travailler sans
problème, parfois ils lui crient de s'arrêter, ça dépend... Il faut
impérativement qu'il rentre avant 16h00, sinon il est bloqué. Quand ça
lui arrive, il va chez ses parents et téléphone pour nous dire qu'on va
être seuls et de bien fermer les portes et les fenêtres.
Personne
ne vient plus nous voir ici, c'est trop difficile. Les soldats nous ont
coupé l'eau, le téléphone, ils urinent d'en haut, ça atterrit sur le
balcon. Ils jettent leurs ordures partout. Un jour, je suis sortie
vider les poubelles, les soldats ont voulu me prendre les clés de la
maison, ils m'ont dit de ne plus sortir. On ne peut plus prendre la
route qui mène à la maison car les colons y ont attaché des chiens, ils
aboient très fort si on essaye de passer, les enfants en ont peur.
Alors on est obligés de prendre l'autre chemin, c'est difficile,
surtout quand on ramène les courses ou les bobonnes de gaz pour faire
la cuisine. Une des voisines avait des problèmes pendant sa grossesse,
elle n'a pas pu aller à l'hôpital pour accoucher car c'était le
couvre-feu.
Il y a eu un couvre-feu pendant les
examens, mes enfants n'ont pas pu aller jusqu'à l'école, alors ils sont
allés à la mosquée pour y passer leurs épreuves. Un de mes fils devait
être diplômé avant l'Intifada, mais depuis, avec les couvre-feux, il a
beaucoup manqué l'école. Ca marche moins bien pour lui que pour ses
frères et soeurs. Ici, les enfants jouent à l'intérieur, ils ne sortent
pas, même pas dans le jardin parce qu'il y a une colonie qui est en
train de se construire à côté et ils jettent des parpaings, des blocs
de pierre. Les fenêtres de l'école de ma fille donnent sur une colonie
et un check point. Parfois, il y a des tirs, des fumigènes qui tombent
dans les classes, il faut alors évacuer les enfants mais c'est
dangereux parce que ça les expose aux tirs. Les élèves ne peuvent pas
se concentrer, ils ne sont jamais tranquilles. Dans de telles
conditions comment bien travailler à l'école ? Il leur faut redoubler
d'efforts."
Dans les deux cas, ces femmes se plaignent de
ne pas pouvoir nettoyer... Leur balcon souillé, les escaliers qui
mènent aux étages supérieurs. Elles essayent régulièrement, elles se
mettent en danger pour quelques marches, quelques cm² de carrelage à
récurer... Je ne comprends pas pourquoi une telle prise de risques,
jusqu'à ce que Sylvia, la psychologue, m'explique : c'est leur façon à
elles de résister. Comme les hommes ne peuvent pas montrer qu'ils sont
faibles, dépressifs, car ils sont le soutien de la famille , les femmes
ne peuvent abandonner les tâches ménagères.