Dimanche 28 décembre
"Je
pars de Paris avec un médecin. Nous arrivons à Téhéran vers 3 heures du
matin le lundi 29 décembre. Direction l'aéroport national pour prendre
l'avion en direction de Bam. Un nombre impressionnant de personnes et
de matériel de secours sont sur ce vol, qui atteint Bam vers 13h00.
Le
tarmac est envahi d'avions-cargos et d'hélicoptères, une multitude de
secours en provenance de différents pays, quelques tentes plantées
autour de l'aéroport. On distingue dans cette foule le Croissant rouge
iranien ainsi que l'armée iranienne et un flot de journalistes, caméras
à l'épaule pour filmer le cadavre déposé pour une évacuation.
Mardi 30 décembre
Dans
le stade, au centre de Bam, les autorités iraniennes ont rassemblé tous
les acteurs extérieurs venant apporter de l'aide : la cellule des
Nations unies, pompiers, protection civile (de différents pays), la
presse. Au milieu de cet abondant déploiement de secours, je commence à
réaliser l'ampleur du désastre.
Mercredi 31 décembre
L'équipe
mobile programme des visites à domicile à Baravat, une ville entre Bam
et l'aéroport et qui comptait environ 17.000 habitants.
Sur 75
familles regroupées en 16 endroits (392 personnes), 74 veulent rester
sur place, préférant demeurer près de leurs maison et champ. Toutes les
familles ont des tentes, avec une moyenne de 5 personnes par tente. En
général, nous constatons que les sinistrés ont reçu assez de nourriture
(des conserves de thon, des haricots et du pain) mais souhaitent des
produits frais (du riz, de l'huile, des oeufs et du sucre). Des
couvertures ont été distribuées par le Croissant Rouge. Les sinistrés
réclament savon, brosse à dent, dentifrice, lessive, chauffage et fuel.
De
l'eau potable est distribuée systématiquement. Mais il n'y a pas assez
d'eau pour se laver et faire la lessive. Globalement, la partie droite
de Baravat (en venant de l'aéroport) est bien couverte au niveau
médical avec une clinique mobile psy, les hôpitaux (équipés de radio et
de blocs chirurgicaux). Les pathologies rencontrées sont surtout des
rhumes, des douleurs musculaires, des petites plaies et une immense
détresse psychologique.
Jeudi 1er janvier, équipe médicale mobile en périphérie nord de Bam
Sur
25 familles (environ 238 personnes), 15 veulent rester près de leur
maison et quelques familles sont parties rejoindre leurs proches.
Toutes les familles ont des tentes avec une moyenne de 5 personnes par
tente.
Isabelle (infirmière) et Behdad (médecin) ont effectué 18
consultations dont 2 patients référés à l'hôpital pour fracture et
infection. Il y a suffisamment de couvertures, de nourriture et d'eau
potable, mais la moitié des familles manquent d'eau pour les lessives
et l'hygiène corporelle. Ils ont aussi besoin de vêtements chauds. Une
distribution systématique de BP5 (biscuits protéinés) a été effectuée
pour tous les enfants de moins de 10 ans en complément de leur repas.
Le quartier est bien couvert sur le plan médical (clinique mobile et
centre de santé fixe), il semble avoir reçu plus d'aide, kits d'hygiène
et chauffages. Pendant notre visite dans ce quartier, nous nous sommes
rendus dans trois dispensaires, qui font entre 40 et 150 consultations
par jour. La plupart des pathologies rencontrées sont des infections
respiratoires, pharyngites, pneumonies, rhumes, mais aussi des plaies
infectées et à suturer, quelques cas de diarrhées simples et beaucoup
de détresse psychologique. D'ailleurs, les consultations sont en
augmentation.
La ville de Bam est située au coeur d'une magnifique
palmeraie, dans une région agricole riche, regorgeant d'oranges et de
dattes. Les habitants de Bam vivaient dans de grandes et belles
demeures avec jardin.
En Iran, le système de santé est
performant, avec une bonne connaissance en matière de catastrophes et
d'aide aux sinistrés. Le Croissant rouge iranien a bien couvert les
besoins, mais, dans un contexte extrême, les rumeurs et critiques
fusent malgré tout et des manques demeurent. Les sinistrés se plaignent
surtout du froid (la température tombe en dessous de zéro), de la
difficulté de se procurer des produits pour l'hygiène corporelle.
Vendredi 2 janvier
Visite
de nouveau en périphérie avec Isabelle et Behdad. Nous avons le
sentiment que les rescapés commencent à prendre conscience de cette
horrible situation. Ils sont complètement égarés et dépressifs. Après
avoir reçu les premiers secours, les rescapés de Bam réalisent peu à
peu qu'ils ne pourront pas rester éternellement face à leur maison en
ruines. Mais, avec l'espoir, encore, de retrouver leurs morts sous les
décombres, ils ne souhaitent pas se rendre dans les camps organisés par
les autorités.
Voici, piochées au fil de nos rencontres,
quelques bribes d'histoires de rescapés que je vous livre telles que je
les ai entendues:
"J'ai été sauvé grâce à mon travail : du
lundi au vendredi, je suis sur mon lieu de travail à Kerman (NDLR : à
environ 180 km de Bam). J'ai appris par la radio la maudite nouvelle.
Arrivée en face de chez moi, j'ai trouvé 28 cadavres : c'était ma
famille. Je les ai enterrés."
"Je me souviens de la première
secousse. J'ai proposé à ma femme, mes parents et mes enfants de passer
la nuit dehors. Ma femme m'a répondu : si dieu souhaite notre mort, c'est sa décision. Aujourd'hui, je suis le seul survivant."
Un
homme nous montre la tente qu'il partage avec trois autres hommes :
"nous sommes tous dans le même cas, nous avons perdu femmes et enfants.
La solitude fait désormais partie de notre vie."
"J'ai été
bouleversée par cette tragédie. Cette horrible nouvelle m'a rendu
malade. Notre magnifique citadelle était l'honneur de notre pays,
l'Iran. Elle n'est aujourd'hui qu'un souvenir."
Une jeune fille
nous raconte qu'elle était en visite avec sa tante à l'extérieur de la
ville quand la télévision iranienne a annoncé le tremblement de terre.
Elles décident de rentrer rapidement à Bam. En arrivant devant la
maison de ses parents, le vide avait remplacé la vie. Depuis, allongée
toute la journée dans un lit sans manger, boire, ni parler, la jeune
fille est devenue une poupée.
Samedi 3 janvier
Notre mission se précise, même s'il demeure difficile de clarifier les besoins. Nous avons donc:
- un dispensaire fixe, sous tente dans une cour d'école, dans le sud de Baravat, avec deux médecins;
- une équipe mobile, composée d'un médecin et d'une infirmière, rayonnant dans le centre et le sud de Baravat;
-
un centre de soutien psychologique, avec deux psychologues, monté avec
4 tentes près de la citadelle dans le vieux quartier, en collaboration
avec le Ministère de la Santé et le Croissant rouge;
- une aide en approvisionnement et traitement de l'eau (latrines et douches).
Voilà
un aperçu de ce qui se passe ici. Je veux rajouter quelques mots, sur
la tristesse que l'on ressent devant cette ville fantôme. Bam, sans ta
citadelle, tu as perdu ton allure de jadis. Tu ressembles à un champ de
bataille ravagé par les bulldozers. Restent les squelettes de tes
maisons, tes jardins soumis aux poussières du séisme, ta citadelle
effondrée comme un château d'enfant sur le sable. Des vagues de larmes
submergent les yeux de Bam."