Peux-tu nous expliquer les raisons de la présence de MSF à Amman ?
MSF s'intéressait depuis quelques mois aux moyens qu'il était possible de déployer pour tenter d'assister les civils blessés en Irak. Nous avons donc tissé un premier réseau de contacts, qui nous a permis de réfléchir à une possibilité d'intervention.
Et c'est grâce aux conseils de confrères irakiens que nous nous sommes implantés à Amman, en Jordanie, à 400 kilomètres de la frontière irakienne. Ceux-ci nous avaient tout d'abord exprimé leurs inquiétudes, en nous dissuadant d'intervenir directement en Irak, au regard de la situation chaotique qui y prévaut aujourd'hui. Ils nous ont en revanche fait part d'une autre possibilité, orientée sur des activités de chirurgie reconstructrice. Car les hôpitaux irakiens sont à ce point saturés qu'ils n'arrivent plus à assurer ce type d'activité.
Par exemple, un des patients que nous avons l'intention de transférer ici, attend de subir une opération de chirurgie reconstructrice depuis plus de deux ans. Mais à cet engorgement s'ajoute le manque de chirurgiens spécialistes : les Nations unies parlent ainsi de plus de 400 médecins spécialistes ayant quitté l'Irak depuis le début des hostilités en 2003. Plusieurs centaines d'autres médecins auraient par ailleurs été assassinés.
En conséquence, l'Hôpital chirurgical général de Bagdad, par exemple, ne dispose plus que d'un seul chirurgien orthopédiste. Enfin, les menaces qui pèsent sur les médecins concernent aussi les patients. Car ce type de chirurgie nécessite en moyenne un séjour de trois semaines à l'hôpital, trois semaines pendant lesquelles ils sont à la merci de représailles de différentes milices armées.
Qu'avons-nous mis en place pour faire face à une telle situation ?
En partenariat avec le Croissant Rouge jordanien et avec l'appui d'un certain nombre de collègues irakiens, nous avons donc décidé de nous installer en Jordanie, à Amman, pour y référer les patients irakiens qui nécessitent ce type d'intervention spécialisée.
L'hôpital du Croissant rouge jordanien met à notre disposition un bloc chirurgical que nous avons réhabilité, une vingtaine de lits pour les patients que nous avons commencé à transférer, et une équipe d'infirmiers qui apporte un soutien à notre équipe de soignants. Côté irakien, et face à la menace qui pèse sur les expatriés occidentaux, nous avons tissé un premier réseau de contacts avec des médecins locaux, qui tentent de détecter les patients que nous pourrions transférer à Amman.
Dans le même temps, à Bagdad, ces mêmes médecins irakiens essaient d'évaluer les principales carences hospitalières, en visitant des structures de santé de toute obédience, afin de respecter notre principe d'impartialité. Nos collègues ont ainsi sélectionné plusieurs hôpitaux, que nous allons tenter d'approvisionner régulièrement en matériels et en médicaments, dépendamment des conclusions de leurs visites.
Cet objectif réclame néanmoins un certain nombre de garanties, notamment en termes de fiabilité des intermédiaires, qu'il s'agisse de la commande de fournitures médicales ou de la réception du matériel expédié à Bagdad. D'autant que cette partie du projet représente un coût financier important.
Quelles sont les principales difficultés de ce projet, et comment faire pour y remédier ?
Outre les contraintes administratives qu'il nous faut résoudre pour faire venir les patients, les obstacles sont nombreux, qui démontrent essentiellement la forte insécurité qui règne aujourd'hui en Irak.
Aux dangers qui pèsent sur nos collègues présents à Bagdad, s'ajoutent la violence des groupes armés, les difficultés et les risques de se déplacer à l'intérieur du pays, notamment sur la route qu'empruntent les patients et leur accompagnateur pour se rendre à l'aéroport de Bagdad. Parfois, de certaines localités proches de Bagdad, il serait moins risqué pour la population de venir se faire soigner en Jordanie par la route que de faire le trajet qui mène à l'aéroport, ou de séjourner dans un hôpital de la capitale. C'est d'ailleurs ce qu'a décidé de faire l'une de nos dernières patientes.
Parallèlement, il nous faut aussi veiller à ne pas exposer davantage nos collègues présents en Irak. Et ça n'est pas facile! L'un d'entre eux s'est ainsi retrouvé directement menacé alors qu'il sortait du ministère de la Santé pour obtenir des informations sur des patients à transférer.
Il nous faut donc dans premier temps « cultiver » et améliorer nos réseaux de médecins irakiens, afin d'être au plus près de ceux qui doivent subir une opération de chirurgie reconstructrice, et d'augmenter progressivement le nombre de patients à référer et à prendre en charge, depuis la Jordanie.
(1) Source : rapport du Secrétaire général de L'Onu, 1er septembre 2006.