Médecin anesthésiste et réanimatrice sur la mission d'Amman, le Dr Nikki Blackwell nous explique les spécificités de ce projet chirurgical, en évoquant ses difficultés, mais aussi les nouvelles techniques employées et ses premières satisfactions.
Quelles sont tout d'abord les difficultés de ton travail à Amman ?
Contrairement aux autres missions où j'ai exercé, nous rencontrons au début de ce projet de très nombreux patients qui doivent subir une intervention de chirurgie maxilo-faciale, faisant appel à une technique d'anesthésie très sophistiquée, délicate dans son application, mais vitale.
Cette pratique consiste à intuber le patient par fibroscope, alors que son anatomie faciale est particulièrement détruite. Pour éviter de perdre ses voies aériennes par l'induction de l'anesthésie, il nous faut à la fois vérifier précisément ce que nous faisons, tout en nous tenant prêts à intervenir en cas d'étouffement.
La seule possibilité dans ce cas consiste à maintenir le patient éveillé afin de pouvoir vérifier ses réflexes respiratoires, le temps de pratiquer cette intubation. Nous risquerions sinon de l'étouffer sans nous en rendre compte. Et ça n'est qu'après que nous pouvons l'endormir.
C'est la première fois que MSF utilise une telle technique d'intubation par fibroscope, qui marque peut-être le début d'une nouvelle ère, dans un contexte qui, il est vrai, nous permet de pratiquer ce type d'interventions chirurgicales.
Ce contexte nous permet-il d'améliorer certaines de nos pratiques ?
Dans cet objectif de qualité d'intervention que nous nous sommes fixés, notamment avec mes collègues ici et à Paris, nous avons ici l'opportunité de mettre en place un système « péri-opératoire » qui tente de parer à toute éventualité, et de nous prémunir ainsi des risques inhérents aux actes médicaux lourds que sont les activités chirurgicales. Pour cela, nous devons tout d'abord nous défaire d'un certain nombre de mythes, qui altèrent cet objectif de qualité.
Entre le préjugé qui considère que seul les mauvais chirurgiens font des erreurs, et celui qui certifie qu'un bon encadrement suffit à les réparer, nombreuses sont les croyances qu'il nous faut combattre. C'est par la mise en place de verrous et de procédures strictes, complètes et précises que nous pouvons parer à toute éventualité, y compris aux complications liées à nos pratiques, de la phase préopératoire jusqu'à sa sortie de l'hôpital.
Dans un registre plus technique, nous avions travaillé sur la mise en place de thrombo-prophylaxies sur les missions. C'est ici la première fois que nous les utilisons systématiquement pour éviter les embolies pulmonaires, et nous devrions pouvoir le faire à terme sur tous nos terrains d'intervention chirurgicale.
Le contrôle des infections fait également l'objet de notre attention. Dans ce domaine, nous avions déjà beaucoup appris de l'expérience du Pakistan (1), pour la chirurgie orthopédique. Aujourd'hui, nous sommes donc particulièrement vigilants quant aux résistances de certains patients aux antibiotiques, tout comme nous veillons après chaque opération à limiter les risques de transmission infectieuse aux autres patients, en adoptant une hygiène rigoureuse.
Qu'en est-il de la prise en charge de la douleur ?
C'est un des grands points de satisfaction de ce projet aujourd'hui. Car s'il s'agit d'une priorité sur toutes les missions chirurgicales, la majorité des patients accueillis à Amman souffrent d'une manière lancinante, parfois depuis plusieurs mois ou années. Il s'agit généralement de douleurs chroniques, parmi lesquelles les douleurs neuropathiques sont tellement difficiles à supporter qu'il arrive que les gens se suicident pour y mettre fin. Heureusement, depuis quelques années, nous avons les bons protocoles, qui permettent de vérifier l'état des patients.
L'encadrement des infirmiers est ici primordial. Car contrairement au médecin ou au chirurgien, la proximité de ces soignants avec les patients permet à ces derniers de s'exprimer plus librement. C'est pourquoi nous leur demandons d'interroger systématiquement le patient sur ce point précis, en l'évaluant sur une échelle de douleur. Mais nous sommes aussi conscients des limites de ce programme qui, s'il permet de réparer et de soulager les patients, ne dit rien des effets psychiques d'une guerre, dont certains visages portent aujourd'hui les traces indélébiles.
(1) - Au cours de l'intervention de MSF en octobre 2005, suite au tremblement de terre qui a affecté la province du Nord-Ouest du Pakistan.