Quels sont les questionnements éthiques pour MSF dans ce
projet de prise en charge des patients souffrant de la tuberculose dans les prisons
kirghizes ?
Notre travail dans
les prisons kirghizes soulève des questions éthiques:
Comment une organisation
humanitaire peut-elle collaborer avec les fonctionnaires de l’administration
pénitentiaire, sachant que nos patients les considèrent, plus ou moins, comme
des ennemis?
Comment réagissent les habitants d’un pays pauvre lorsqu’ils
voient que nous nous occupons des prisonniers et pas d’autres groupes défavorisés
de la population?
Comment pouvons-nous garantir qu’un traitement débuté en
prison soit administré jusqu’à la fin et sans interruption si le patient est
libéré?
Pouvons-nous endiguer une épidémie en
nous concentrant sur un seul foyer de la maladie, fût-il le principal?
Que retenez-vous de votre visite au Kirghizistan ?
Plusieurs points
positifs. J’ai constaté que les patients perçoivent MSF comme un acteur
indépendant et neutre. A leurs yeux, l’engagement de l’équipe est synonyme
d’une amélioration de leur qualité de vie. Les détenus m’ont raconté que le
personnel médical carcéral les traitait mieux
depuis le début de l’intervention de MSF.
En tant
qu’organisation humanitaire, nous sommes confrontés à deux problèmes. D’une
part la séparation médicale indispensable des patients, et d’autre part la
hiérarchie officieuse des détenus, qui complique cette séparation.
De fait, les
personnes qui ne sont pas infectées par la tuberculose doivent être séparées de
celles qui le sont. Et il est plus difficile de soigner les patients dont la
tuberculose a déjà développé une résistance à de nombreux médicaments. Ces
patients devraient donc être séparés des autres pour éviter le risque de
contagion.
Or, aucune séparation n’est prévue dans les établissements de
détention provisoire et lors des transports de détenus. Même dans les prisons
où MSF mène un programme, la séparation ne fonctionne que durant la journée.
Pourquoi MSF a-t-elle décidé de s’engager dans des
programmes de lutte contre la tuberculose au sein des prisons kirghizes ?
L’augmentation très
préoccupante de la tuberculose multirésistante est une urgence médicale contre
laquelle nous devons lutter là où la propagation est la plus rapide,
c'est-à-dire dans les prisons. Cette action bénéficie donc à la partie la plus
vulnérable de la population.
Quel est le risque de voir la maladie se propager de la
prison au monde extérieur?
La tuberculose reste
la maladie des pauvres. Elle progresse là où les gens sont affaiblis par le
manque de nourriture ou vivent dans de mauvaises conditions d’hygiène et dans
la promiscuité. C’est particulièrement le cas dans les prisons : la propagation
y est environ 30 fois plus importante que parmi la population générale.
Souvent,
les détenus qui retrouvent la liberté sans avoir achevé leur traitement ne
peuvent le poursuivre dans le service national de santé. Ceci augmente le
risque de développer une tuberculose résistante et d’infecter ainsi d’autres
personnes avec des germes résistants aux traitements.
Quelle est la situation concernant la tuberculose
multirésistante ?
Notre programme
assure la prise en charge de 50 patients atteints de MDR-TB. La propagation dans
les prisons kirghizes est très importante : 23% des tuberculeux sont atteints
d’une forme multirésistante.
Dans les établissements de détention provisoire,
généralement surpeuplés, le risque de voir des résistances apparaître est
important. On n’y trouve presque aucun traitement et les malades ne sont pas
séparés des autres détenus.
Au sein de nos
programmes, les activités consistent à améliorer le dépistage et fournir le
matériel de laboratoire nécessaire, garantir la disponibilité, la qualité et la
distribution supervisée des médicaments pour le traitement de la maladie,
mettre en place des procédures de séparation pour diminuer les risques de
transmission. Nous avons commencé à soigner la tuberculose multirésistante dans
une prison et nous assurons la poursuite du traitement pour les détenus
libérés.
Comment le programme de MSF est-il perçu par la
population kirghize ?
La perception de
notre travail est plutôt difficile au sein de la population. Les Kirghizes ont de
la peine à accepter le fait que nous apportions notre aide à des détenus, et
non à la population pauvre. Nous essayons d’informer les gens sur l’importance
de notre programme. Dernièrement, nous avons mis sur pied une exposition de
photos sur le programme à Bishkek, la capitale. C’est une façon de sensibiliser
la population à notre travail.
La prévalence chez la population kirghize est de 112 cas de tuberculose
pour 100 000 habitants. Dans le milieu carcéral, ce chiffre s’élève à plus de
3000 cas pour 100 000 détenus (2006)