La guerre continue au Liberia, malgré les accords de paix, malgré le déploiement d'une force de la CEDEAO, malgré les navires américains qui croisent au large de Monrovia. Si la situation dans la capitale libérienne s'est effectivement apaisée, après près de deux mois de combats à l'arme lourde, les affrontements continuent dans le Bong, au nord-est du pays, menaçant la survie de dizaines de milliers de personnes.
"Plus de 10.000 personnes sont arrivées fin août dans le camp de Salala, déjà surchargé. Ils cherchent refuge dans les camps ou les villages, mais y trouvent des familles qui ont déjà fait leur baluchon. La ligne de front se rapproche et ils doivent être prêts à fuir, pour ne pas être pris au piège des combats." raconte Emmanuel Drouhin, responsable de programmes de retour du Liberia. "Depuis deux ans, ces gens ne cessent de fuir les combats. Leur espace de fuite ne cesse de s'étioler, ils sont épuisés physiquement et moralement, ils sont malades, ils ont tout perdu au fil des fuites. La fuite cependant est leur seul espoir de survie. " explique encore Emmanuel.
Même au plus fort des combats à Monrovia, les équipes de Médecins Sans Frontières ont tout fait pour continuer à apporter une assistance médicale et logistique aux populations déplacées des camps du Bong, des camps qui, depuis la mi-mai, n'ont pas reçu de distribution générale de nourriture, et où sévit une épidémie de choléra. 250 enfants sévèrement malnourris reçoivent des soins dans le Centre Nutritionnel Intensif du camp de Salala.
Mais alors que la situation s'apaise à Monrovia, les affrontements reprennent au nord des camps du Bong. Devant l'avancée des combats, MSF tire la sonnette d'alarme à plusieurs reprises: la sécurité de dizaines de milliers de personnes est directement menacée. Le 20 août, les combats ne sont plus qu'à quarante-cinq kilomètres du camp de Totota, dix jours plus tard ils se sont encore rapprochés.
Et le 3 septembre, la nouvelle tombe : les camps de Maimu et de Totota ont commencé à se vider. Affolés par les combats qui continuent à se rapprocher, 30.000 à 50.000 personnes ont dû reprendre la route." Imaginez une foule trempée par la pluie, les personnes âgées dans des brouettes, les enfants ayant du mal à avancer, partis sur la route, sans savoir où ils vont dormir ce soir. " raconte Coralie Lechelle, infirmière et coordinatrice d'urgence, témoin de cet exode de masse.
Déjà affaiblie par le manque de nourriture et des conditions sanitaires très précaires, la population de ces camps doit, une fois de plus, fuir devant l'avancée des combattants. "Les gens s'éparpillent dans toutes les directions, sans espoir, nulle part, de trouver une assistance et une protection minimale." s'indigne le Dr. Mercedès Tatay, au desk des Urgences. "La situation est désespérée."
A deux reprises, le 20 août et le 2 septembre dernier, MSF a tenté d'alerter les parties concernées et l'opinion publique sur l'imminence de ce drame annoncé. Les équipes de MSF tentent désormais de trouver une réponse humanitaire la plus rapide possible aux besoins de cette population épuisée.
A Monrovia, des milliers de déplacés continuent à vivre entassés dans des écoles, des églises, ou d'autres sites absolument inadaptés. Sans eau, sans électricité. Depuis le début de la première guerre civile, en 1989, des centaines de milliers de personnes ont trouvé refuge dans cette ville en ruine, où les combats à l'arme lourde de ces dernières semaines ont causé de nouvelles destructions. MSF dispense des soins médicaux dans trois hôpitaux, neuf cliniques, et trois unités de traitement du choléra. L'organisation se charge également de pomper et de transporter quotidiennement 200.000 litres d'eau en camion citerne pour les personnes déplacées et les habitants de la capitale. "
En août, en deux semaines, nous avons traité près de 1.500 patients atteints par le choléra. Près de la moitié de ces cas étaient sévèrement déshydratés. En pleine saison des pluies, le paludisme fait lui aussi des ravages : 40% des patients qui viennent consulter sont atteints." décrit le Dr Mercédès Tatay.
"Les besoins sont si vastes que nous sommes obligés de faire des priorités." continue Emmanuel Drouhin. "A l'extérieur de Monrovia, les missions exploratoires que nous parvenons à faire, malgré l'insécurité croissante, révèlent une situation encore plus terrible. Les besoins vitaux sont tellement énormes qu'il faudrait qu'une aide d'urgence bien plus conséquente se déploie. Mais de vastes parties du territoire, comme le comté du Nimba, sont totalement inaccessibles à une aide d'urgence plus que vitale pour les populations civiles. Malgré toutes les déclarations rassurantes, il n'y a pas de paix au Liberia. C'est toute la population qui est en danger." conclut Emmanuel Drouhin.