Le concept de « communauté de brevets » n'est pas nouveau. Il a déjà servi pour stimuler l'innovation dans différents domaines, mais la nouveauté est de l'appliquer au secteur des médicaments.
MSF salue cette initiative qui pourrait contribuer à combler d'énormes carences dans le traitement de nos patients.
Ellen‘t Hoen, directrice à la Campagne d'accès aux médicaments essentiels à MSF (CAME), explique dans cet interview comment ce mécanisme pourrait fonctionner et quels avantages les patients pourraient en retirer.
Ces petites animations expliquent pourquoi les personnes vivant dans les pays en développement n'ont pas accès aux traitements anti-rétroviraux dont elles ont besoin pour survivre et comment le système de "communauté de brevet" pourrait apporter une solution révolutionnaire.
Qu'est-ce qu'une communauté de brevets ?
Une communauté de brevets est un mécanisme dans lequel des détenteurs de brevets mettent en commun leurs brevets dans un « pool » et autorisent ceux qui en ont besoin à avoir accès à leurs brevets et à les utiliser moyennant le paiement de royalties.
Les communautés de brevets ont en fait été utilisées pour encourager l'innovation dans de nombreux domaines de la technologie, notamment pour mettre au point des équipements d'enregistrement, où plusieurs brevets sont nécessaires pour fabriquer un produit donné.
L'élément moteur est donc le partage des connaissances, avec une rémunération assurée pour les inventeurs ?
Oui, c'est tout l'intérêt du système. Il ne s'agit pas de faire don des brevets. Les détenteurs de brevets qui collaborent au pool perçoivent des royalties de la part de ceux qui utilisent leurs brevets.
Comment une communauté de brevets peut-elle être utilisée pour développer de nouveaux produits pharmaceutiques, un secteur souvent très spécialisé ?
Une communauté de brevets peut favoriser l'innovation dans des secteurs où il y a peu d'avancées. Si l'on prend l'exemple du VIH/sida, nous avons cruellement besoin que soient développées de nouvelles associations de médicaments à dose fixe, en un seul comprimé, en particulier pour les médicaments les plus récents.
Ces médicaments simplifient le traitement des personnes atteintes du sida et sont aussi utilisés pour traiter le sida chez les enfants. Or, pour pouvoir produire ces associations de médicaments, il faut surmonter les obstacles que constituent les brevets parce qu'associer trois produits différents dans un seul comprimé implique parfois de traiter avec trois détenteurs de brevets différents.
Ainsi, chaque fabricant qui a besoin de ces brevets doit traiter avec les détenteurs des trois différents brevets. Il est donc très difficile d'arriver à un accord. Mais si cela peut se faire en un seul lieu, comme au sein d'une communauté de brevets, le processus est simplifié avec un « guichet unique » aussi bien pour les détenteurs de brevets que pour les entreprises qui ont besoin d'utiliser ces brevets.
Comment la communauté de brevets pourrait-elle nous aider à pallier le manque de formulations pédiatriques pour les enfants atteints du sida ?
Le sida chez les enfants a pratiquement disparu dans les pays riches. Pour les entreprises pharmaceutiques occidentales, le développement de traitements pédiatriques contre le sida n'est donc pas une priorité, même s' il y a énormément d'enfants dans le monde atteints du VIH/sida qui ont besoin d'un traitement approprié. Et ce sont les fabricants de génériques qui se sont montré intéressés et prêts à développer et produire des formulations pédiatriques adaptées.
Mais ils sont confrontés à l'obstacle des brevets, notamment pour ce qui est des médicaments les plus récents. Si ces brevets faisaient partie d'un pool, toute entreprise souhaitant développer des associations à doses fixes ou des formulations pédiatriques pourrait le faire, en utilisant ces brevets.
Comment la communauté de brevets pourrait-elle influer sur le niveau des prix des médicaments ?
Une communauté de brevets permettrait de faire baisser les prix tout en accélérant le développement des produits génériques. Aujourd'hui, lorsque des fabricants de génériques se trouvent confrontés à un brevet dans un pays donné, ils doivent attendre 20 ans, la durée légale du brevet.
La communauté de brevets peut changer la donne parce que dès lors que le brevet est dans le pool, les fabricants de génériques peuvent s'adresser au pool, payer les royalties et mettre au point des versions génériques du médicament. Résultat, la concurrence existe beaucoup plus tôt ,or la concurrence est le facteur le plus important qui contribue à la baisse des prix.
Qu'y a-t-il par exemple comme traitements pour les patients atteints du sida dont les médecins de MSF ont besoin de toute urgence mais auxquels ils ne peuvent avoir accès à des prix abordables ?
Il y a par exemple l'association améliorée de trois antirétroviraux de première ligne qui contient du ténofovir (TDF). Elle est très chère en dépit des réductions offertes par les laboratoires pharmaceutiques parce qu'il n'y a pas suffisamment de fabricants. Autre exemple, les traitements thermostables de deuxième ligne qui contiennent du lopinavir ou de l'atazanavir, dont l'action est potentialisée par du ritonavir pour traiter les malades qui développent une résistance à leurs médicaments de première ligne.
Qu'est-ce qui donne à penser que les détenteurs de brevets sont prêts à souscrire à cette initiative ?
Leurs premières réactions nous ont encouragés. Les entreprises ont qualifié la proposition de « très intéressante ». C'est pour nous un signe très positif.
Toutefois, les détenteurs de brevets ne sont pas les seuls concernés. Il faut aussi que ceux qui utiliseront ces brevets s'impliquent, et les sociétés fabriquant des médicaments génériques devront aussi être de la partie. Il est important que les « Stratégies et plans d'action mondiaux pour la santé publique, l'innovation et la propriété intellectuelle » de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) incitent les pays à étudier l'utilisation des communautés de brevets dans le domaine de la santé publique.
De quelle ampleur peuvent être les répercussions d'une communauté de brevets en termes d'innovation pour les outils thérapeutiques qui nous manquent cruellement à MSF ?
Je pense que si la communauté de brevets d'UNITAID réussit, les effets pourraient être phénoménaux, tant pour l'accès, notamment en faisant baisser les prix, que pour le développement des associations de médicaments et des formulations pédiatriques qui font cruellement défaut. Mais la réussite dépendra de la collaboration de toutes les parties prenantes.