Deux volontaires expatriés (un psychologue et un chef de mission) composent cette mission, assistés d'une équipe locale. Hayoung Li, psychologue clinicienne, fait partie de cette équipe sud-coréenne. Marquée par une histoire familiale à l'image de l'histoire de la Corée (son oncle est passé au Nord avec l'armée rouge au moment de la guerre), élevée dans la peur des Coréens du Nord - qu'elle imaginait comme "des porcs ou des monstres rouges avec des cornes sur la tête" -, il lui a fallu du temps pour aller au-delà de ses a priori. Lors de ses études universitaires, d'abord, mais surtout lorsqu'elle a commencé à travailler pour Médecins Sans Frontières. Voici son témoignage.
"Croyez-vous possible qu'un être humain puisse n'être réduit qu'à de la peau et des os ? Ils luttent contre la faim jusqu'à la mort, creusant le sol pour manger. Puis, leurs corps gonflent en haut et en bas, jusqu'à ce qu'ils meurent." J'ai été bouleversée par ce genre de récits que m'ont fait des réfugiés nord-coréens. Les patients ont d'ailleurs tendance à se prendre la tête entre les mains et sous-entendent que je ne peux de toutes les manières pas comprendre... Après les souffrances endurées tout au long de leur vie en Corée du Nord, ils ont subi des traumatismes supplémentaires lors de leur exil à travers la Chine, la Mongolie, la Thaïlande ou encore le Vietnam, comme d'être pourchassés en permanence par la police chinoise. La culpabilité d'avoir "abandonné" leur famille, parfois même des enfants, en Corée du Nord ne fait qu'empirer leur état. Et pour ajouter encore à leur désarroi, alors que la plupart pensaient être accueillis en héros, ils voient s'effondrer leurs rêves d'une vie sans difficulté en Corée du Sud.
Confort matériel et détresse psychologique
Lorsqu'ils arrivent, les réfugiés nords-coréens sont soumis aux investigations des services de renseignement - qui vérifient qu'il ne s'agit pas d'espions, processus qui peut prendre quelques jours comme plusieurs mois - avant de passer trois mois à Hanawon, un centre de rééducation où des cours leur sont proposés pour apprendre comment s'adapter le plus vite possible au système et à la vie sud-coréens. Après, le gouvernement leur promet la nationalité sud-coréenne (au bout de deux ans sur le territoire), leur donne un logement et une allocation mensuelle. Mais cet argent sert essentiellement à payer leurs passeurs, si bien qu'il ne leur reste pas grand-chose pour s'installer.
Inadaptés au système sud-coréen, sans qualifications, ne maîtrisant pas les technologies, peu d'entre eux parviennent à s'insérer professionnellement. Seuls 2% des 5 700 réfugiés comptabilisés dans tout le pays travaillent, les autres vivant des aides du gouvernement.
Ainsi, bien qu'ils aient de la nourriture, qu'il n'y ait pas de menaces directes sur leur vie ou de risque d'être rapatriés au Nord, ils se sentent toujours fragiles, tristes, timides, sur le qui-vive permanent, hantés par le sentiment d'insécurité et la peur. Ils ont du mal à se nourrir, à dormir. Il m'est même arrivé d'entendre que certains voulaient retourner vivre dans leur pays. En conséquence, leurs réactions sont instables et un nombre important d'entre eux tentent d'oublier leurs difficultés à travers l'alcool et le jeu. On remarque aussi une prédominance de douleurs physiques, migraines ainsi que des palpitations qui sont principalement dues à des difficultés à exprimer des émotions.
Ces difficultés psychologiques sont à l'origine de beaucoup de malentendus avec les sud coréens qui les croient paresseux, nonchalants et violents alors qu'ils sont juste malades.
Un dispositif d'aide psychologique embryonnaire
Face à cette détresse et à cette stigmatisation, très peu de soutien psychologique est proposé aux réfugiés. Le centre d'Hanawon vient tout juste de mettre en place une cellule psychologique et MSF n'a obtenu que récemment l'autorisation de proposer des consultations psychologiques dans les centres sociaux. C'est pourquoi je crois que les organisations qui soutiennent les nord-coréens ici jugent les activités de MSF essentielles.
Parce que, dans ces circonstances, les réfugiés qui demandent d'eux-mêmes une aide sont très peu nombreux, la principale difficulté pour MSF est de rentrer en contact avec ces réfugiés. Une fois le contact établi, on se rend compte assez rapidement de l'efficacité de la prise en charge.
Tous les patients que j'ai pu rencontrer disent la même chose : ils veulent oublier leur passé. C'est pour cela qu'il est très difficile, au début, d'échanger sur leurs difficultés. La thérapie leur donne ainsi l'occasion de traverser une phase dépressive pour, dans un deuxième temps, les aider à rebondir. Ils redeviennent alors plus équilibrés et ont une chance de s'accepter dans le passé et dans le présent pour pouvoir se projeter dans le futur.
Malheureusement, bien que de plus en plus de Nord-Coréens arrivent, trop peu de psychologues et de psychiatres ont conscience des difficultés psychologiques que rencontrent ces réfugiés. Or essayer de comprendre et d'aider ceux qui se sentent seuls, malades ou angoissés est une condition sine qua non de leur intégration en Corée du Sud.