Gutten, ville de 8.000 habitants dans la région Oromo, est située à une
dizaine d'heures de route à l'ouest d'Addis Abeba, la capitale
éthiopienne. Vestiges d'une guerre menée contre des rebelles il y a
près de 20 ans, quelques chars rouillés et désossés jalonnent la route
qui mène à la petite cité. Mais au bruit des canons a succédé celui des
pelles et des pioches, qui chaque jour, viennent creuser le sol des
cimetières de Gutten et des environs. Dans cette zone de l'East
Wollega, la guerre par les armes a fait place à une guerre sans armes,
qui emporte chaque jour de nouveaux habitants : la guerre contre le
paludisme.
Construit
dans l'urgence voici 2 mois, le centre de santé ouvert par MSF
accueille chaque semaine près de 1.500 nouveaux patients. Chaque matin
encore, ils sont plus de trois cents à se masser à l'entrée du centre
de santé, en attente d'une consultation. Plus de 70 % d'entre eux ont
besoin d'un traitement contre le paludisme : une dose quotidienne de
quinine, seul médicament efficace autorisé aujourd'hui en Ethiopie pour
faire face à la pandémie.
Nombre de ces malades ont déjà
bénéficié d'un traitement par le passé comme Murida, qui achètait
régulièrement du Fansidar® à la pharmacie. "La semaine dernière encore,
et c'est comme ça depuis l'année dernière, sans amélioration...",
explique-t-elle. Chaque mois, elle débourse pourtant plus de 10 birr (1
euro) pour ce médicament. Une somme pour cette femme d'agriculteur,
mère de trois enfants. Or, bien qu'elle respecte la posologie, ce
médicament est devenu inefficace pour elle comme pour la majeure partie
des malades, qui ont développé des résistances.
Parmi la
centaine de patients qui dorment à l'hôpital, alignés sur des nattes,
85 % sont des enfants. La plupart restent allongés à côté de leur mère.
Certains d'entre eux sont arrivés dans un état critique, fortement
anémiés. Seule une transfusion sanguine peut les arracher à la
fatalité. Mais comment trouver un donneur lorsqu'à la compatibilité du
groupe sanguin s'ajoutent les risques de transmissions hépatiques ou du
virus du sida, le refus de donner ou encore la difficulté de prélever
le précieux liquide dans de bonnes conditions ? Le repos, l'espace, le
temps, le sang, tout manque.
Hors de Gutten, la situation est
tout aussi dramatique. Chaque jour, une clinique mobile de MSF sillonne
la brousse pour aller à la rencontre des populations isolées victimes
elles aussi du paludisme. Comme dans le village de Fitebako, où plus de
85 % des habitants reçus en consultation ont bénéficié d'un traitement
contre le paludisme. La grande majorité étaient des enfants. Les cas
les plus sévères, qui ne peuvent être soignés sur place, sont emmenés
par la clinique mobile dans notre centre de santé à Gutten. De
nouvelles urgences à combattre, pour lesquelles il est parfois trop
tard.
Il existe pourtant une combinaison thérapeutique qui
permettrait d'obtenir plus facilement la guérison des patients, et de
traiter la grande majorité d'entre eux de manière simple. Ces
traitements à base d'artémisinine, les "ACT" (pour Artemisinine
Combined Therapy), ont déjà fait la preuve de leur efficacité. Ils ne
sont pas rejetés par les enfants, ils ne provoquent pas d'effets
secondaires, ils rétablissent les patients en trois jours, et on ne
leur connaît aucune résistance à ce jour. Mais aujourd'hui en Ethiopie
ces médicaments ne sont pas disponibles. Et à Gutten comme ailleurs, si
la guerre contre l'anophèle (le moustique qui transmet le paludisme)
continue sans relâche, celle contre la maladie se poursuit sans moyens.
Pour l'instant, des études, des chiffres, des mots, des morts, pas
d'actes.
Entre le 12 novembre 2003 et le 4 janvier 2004,
l'équipe de Gutten a soigné près de 13.500 patients atteints du
paludisme. Parmi eux, 1.500 ont séjourné plusieurs jours dans le centre
de santé pour y être suivis, dont plus de 1.200 enfants de moins de
cinq ans. 14% des patients accueillis dans le centre étaient sévèrement
touchés par la maladie.