Trois mois après le début de la période de soudure, quelle est la situation nutritionnelle au Niger ?
Même si nous ne sommes plus dans la configuration de crise aiguë de
l'année dernière, tous les indicateurs témoignent d'une situation qui
reste extrêmement grave : 250.000 enfants souffrant de malnutrition
aiguë ont été pris en charge à l'échelle du pays, toutes ONG confondues
(1), entre janvier et fin août 2006.
Notre programme dans la région de
Maradi a admis plus de 45 000 enfants depuis le début de l'année, dans
seulement deux départements. Ce sont des chiffres très importants et
d'autant plus choquants que le contexte est moins mauvais qu'en 2005 :
les dernières récoltes sont correctes et, même s'ils demeurent élevés,
les prix sur le marché restent stables.
De
plus, ces chiffres ne reflètent que le nombre d'enfants soignés, ceux
qui sont dépistés et qui rentrent dans les critères de prise en charge
nutritionnelle. Les autres n'ont pas un bon statut nutritionnel pour
autant... Au Niger, la très grande majorité des enfants de moins de
cinq ans n'a pas accès aux aliments de la petite enfance, adaptés à
leurs besoins nutritionnels. En fait, chaque année, le Niger connaît
une catastrophe démographique parmi la population infanto-juvénile : un
enfant sur cinq meurt avant sa cinquième année. La malnutrition est un
facteur important de cette forte mortalité, l'une des plus élevées au
monde.
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Niger - avril 2006 © Portal Ferreiro
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En
2006, Médecins Sans Frontières a décidé de faire évoluer sa stratégie
de prise en charge de la malnutrition aiguë. En quoi consiste-t-elle ?
Depuis plusieurs années, nous utilisons un produit thérapeutique qui a
fait son apparition à la fin des années 90 et qui consiste en une pâte
de lait et d'arachide, enrichie en micro-nutriments. Elle est prête à
l'emploi, c'est-à-dire qu'elle ne nécessite ni eau ni récipient et
qu'elle peut être consommée par l'enfant à domicile, avec une
surveillance médicale allégée. Elle permet aux enfants souffrant de
malnutrition aiguë de reprendre du poids de façon rapide et efficace.
Mais elle apporte aussi à l'organisme une balance adéquate des
nutriments essentiels.
Nous l'avons utilisée pour la première fois à
une très grande échelle l'année dernière, pour les enfants qui se
trouvaient au stade sévère de la malnutrition. Plus de 60 000 enfants
traités, avec plus de 90% de guérison : les résultats de cette prise en
charge se sont avérés très satisfaisants. Nous nous sommes donc posé
une question simple : pourquoi ne pas utiliser ce produit, qui a fait
la preuve de son efficacité, plus tôt, sans attendre que l'enfant ne
bascule dans un état sévère, et pour limiter les risques de mortalité ?
C'est ce que nous avons fait début 2006, en donnant ce produit
thérapeutique aux enfants dès qu'ils entrent dans la malnutrition
aiguë. C'est une pratique tout à fait nouvelle, car l'aliment utilisé
par l'ensemble des acteurs de l'aide pour ces enfants est une farine
enrichie qui nécessite une préparation avec de l'eau, qui ne contient
pas de lait et qui est bien moins adaptée aux besoins nutritionnels de
la petite enfance.
Quels sont les résultats huit mois après ?
Ce produit est plus efficace que la farine enrichie, les enfants
reprennent du poids plus rapidement, le traitement dure trois à quatre
semaines au lieu de deux mois. Le taux de guérison est supérieur à 95%
et le taux de décès inférieur à 1% dans l'ensemble du programme. Et
nous avons beaucoup moins d'enfants dans un état sévère que par le
passé. On peut donc penser que cette stratégie a permis de prévenir la
malnutrition aiguë à un stade sévère et de limiter la mortalité.
Mais
nous constatons à la fois l'efficacité en termes de résultats et les
limites de cette stratégie. Pour qu'elle puisse être mise en oeuvre
dans un pays comme le Niger, à l'échelle nationale, et pour avoir
encore plus d'impact sur la mortalité des enfants de moins de cinq ans,
nous avons encore des pistes de travail à explorer.
Quelles sont ces pistes de travail ?
Nous poursuivons la même logique depuis plusieurs années : comment
limiter le nombre de décès liés à la malnutrition dans un foyer
d'épidémie ? Nous avons d'abord travaillé sur une stratégie pour les
cas les plus sévères, et ce protocole a été adopté par les autorités
nigériennes dans tout le pays.
Puis, cette année, nous élargissons
notre réponse à tous les cas de malnutrition aiguë. Mais c'est trop
lourd pour être mis en oeuvre par le système de santé d'un pays qui
compte, chaque année, des centaines de milliers d'enfants malnutris. Ni
le Niger, considéré comme le pays le plus pauvre au monde, ni aucun
autre acteur ne peut assumer un tel dispositif sur plusieurs années. De
plus, il reste tous les enfants qui, sans être gravement malnutris, ont
un statut nutritionnel insuffisant pour lutter contre les infections,
parfois mortelles.
Nous
pouvons aller plus loin dans la simplification et l'amélioration de la
réponse médico-nutritionnelle dans nos programmes, mais elle doit
nécessairement être accompagnée d'une stratégie de prévention de la
malnutrition aiguë. C'est non seulement pertinent au niveau individuel
? l'enfant reçoit ce dont il a besoin pour avoir moins de risques de
tomber malade ? mais c'est aussi indispensable pour réduire le nombre
d'enfants exigeant des soins médicaux, et pour pouvoir les soigner.
Ce
projet est très ambitieux. Pour le réaliser, il est nécessaire que nous
obtenions le produit thérapeutique que nous utilisons, le Plumpy Nut, à
un prix beaucoup moins élevé et que nous trouvions un produit efficace,
un équivalent du lait enrichi pour les enfants de moins de cinq ans,
pour prévenir la malnutrition.
(1) - Source UNICEF