En
quoi les avancées dans la prise en charge de la malnutrition
aident-elles MSF à mieux faire face à l’ampleur de la crise nigérienne
actuelle ?
La plupart des
enfants sévèrement malnutris admis dans notre programme sont suivis par
le biais de consultations externes. C'est ce que nous appelons la prise
en charge "en ambulatoire". En clair, nous ne voyons qu'une fois par
semaine les enfants qui ont de l'appétit et ne sont pas gravement
malades. A ceux-là, lors de leur visite hebdomadaire dans un de nos
centres, nous distribuons 14 sachets (2 par jour) de Plumpy'nut, un
aliment thérapeutique relativement récent, et ils bénéficient d'une
consultation pour vérifier qu'ils ne développent pas de complications
médicales. Nous donnons en outre à leurs mères une ration familiale
dite " de protection " composée d'Unimix – une farine enrichie – et
d'huile. En résumé, le Plumpy'nut est une nourriture spécialisée qui
comprend tous les macro et micro nutriments, dans les bonnes
proportions, pour favoriser la prise de poids rapide chez les enfants
malnutris. Seuls les plus mal en point – soit qu'ils n'aient pas
d'appétit, soit qu'une maladie s'ajoute à leur état de malnutrition –
sont transférés vers ce que nous appelons désormais une unité de
stabilisation – qui ressemble plus ou moins à un hôpital – où ils
recevront des soins plus intensifs. Une fois stabilisés, ils peuvent
continuer le programme en consultation externe.
Ce
mode de prise en charge ne veut pas dire que les enfants en suivi
ambulatoire sont moins sévèrement malnutris que les enfants
hospitalisés. Cela signifie simplement qu'il n'est pas nécessaire
d'hospitaliser systématiquement un enfant sévèrement malnutri. La
première expérience a été réalisée en Inde, voici une vingtaine
d'année, dans les grandes villes. Aux enfants souffrant de
malnutrition, les autorités distribuaient des purées de lentilles ou
autres, à consommer à domicile. Elles ont conclu que c'était aussi
efficace que d'hospitaliser les enfants. Pendant longtemps, personne ne
s'est emparé de cette information. Il a fallu attendre l'article de
Steve Collins publiée dans la revue médicale The Lancet en 2002 pour
que les spécialistes de la nutrition se mettent à débattre de la prise
en charge à domicile des enfants sévèrement malnutris. Cependant,
l'innovation qui a révolutionné la prise en charge a été l'apparition
d'aliments spécialisés prêts à consommer, qui ne nécessitent pas de
préparation, se présentent en sachets individuels, n'exigent pas d'y
ajouter de l'eau et ne peuvent être contaminés. C'est parce qu'il
fallait diluer les laits thérapeutiques en poudre existants que nous
étions réticents à les distribuer pour une utilisation à domicile. Nous
ne savions pas si les mères respecteraient le dosage pour la dilution
et si elles auraient accès à de l'eau de bonne qualité. Nous craignions
donc de faire plus de mal que de bien.
Ce nouveau mode de prise en charge a-t-il eu un impact au Niger ?
Nous n'aurions jamais pu traiter autant d'enfants. Avant, nous aurions
probablement cantonné notre action à la région de Maradi, avec
peut-être trois ou quatre centres nutritionnels thérapeutiques fixes.
Caala, en Angola en 2002, a été la dernière grosse opération d'urgence
de MSF sur la nutrition conduite sans prise en charge en externe. Avec
trois centres nutritionnels, nous avons admis 8 600 enfants. Ici au
Niger, nous avons été en mesure d'étendre nos programmes et de traiter
bien plus d'enfants, et pensons atteindre un total de 30 000 enfants
pris en charge en 2005. C'est donc une différence colossale. Notre
expérience ici pourrait bien faire de la combinaison
hospitalisation/suivi ambulatoire la stratégie définitive pour MSF en
matière de nutrition. Je ne crois pas que nous puissions revenir en
arrière.
Existe-t-il
un moyen, pour les autorités du Niger et d’ailleurs, de résoudre
certains des problèmes chroniques associés à la malnutrition ?
Tout le monde parle de la nature chronique et des racines de la crise
actuelle – ces débats sont sans fin. Mais au cours des quatre dernières
années, notre présence au Niger nous a permis d'observer l'insécurité
alimentaire sur le long terme et nous avons quelques idées sur la
question. Le plus efficace, du point de vue médical, serait d'intégrer
les aliments thérapeutiques pour les enfants sévèrement malnutris –
comme le Plumpy'nut ou le BP100 – à l'offre de services régulière du
système de santé. Ils devraient être utilisés comme des médicaments
essentiels – à l'instar des ARV pour les malades du sida et des ACT
pour le paludisme – et pas seulement lors de périodes d'urgence.
Bientôt, un nouveau produit pour traiter la malnutrition aiguë modérée
devrait être disponible. Il sera alors possible de soigner les deux
stades de la malnutrition aiguë (modérée et sévère) à l'aide d'aliments
thérapeutiques spécialisés. Ces produits doivent impérativement être
accessibles. Dans nos centres au Niger, nous voyons des femmes venir de
loin pour obtenir un traitement pour leur enfant.
Quelle impression t’a laissé ta mission au Niger ?
L'une des choses qui m'a le plus marqué au cours de ma mission au Niger
a été une distribution de nourriture par une autre organisation dans un
village où nous avions un centre ambulatoire. Parce qu'ils craignaient
de ne pas drainer suffisamment de monde, les responsables de cette ONG
s'étaient rendus dans plusieurs villages pour annoncer leur
distribution. Résultat, ce léger effort de mobilisation a failli
déboucher sur une émeute. Cela montre à quel point les gens manquent de
nourriture. Ceux qui affirment que la situation actuelle est comparable
aux années précédentes se trompent lourdement. La pénurie alimentaire
est forte, touche de nombreuses familles, et nous voyons arriver dans
nos centres beaucoup d'enfants dans des états catastrophiques.