Après le premier volume, "Trauma, cultures, et soins", paru en juin
dernier, le deuxième tome de "Soigner malgré tout", "Bébés, enfants et
adolescents dans la violence", traite plus particulièrement des soins
psychiques qui peuvent être prodigués aux enfants et aux adolescents
dans des situations de violences organisées. Ecrit par des
professionnels de terrain, ce livre est l'occasion de jeter un regard
rétrospectif sur plus de dix années de pratique de soins psychiques
dans le cadre de missions humanitaires.
Pourquoi consacrer un tome entier aux bébés, aux enfants et aux adolescents ?
Parce
que ce sont des populations particulièrement vulnérables en situation
de guerre ou de violence extrême ! Non seulement les traumatismes subis
ont sur eux un impact immédiat, mais ils risquent d'entraver leur
développement, leur capacité à apprendre ou tout simplement à être
heureux. Si nous avons décidé de nous focaliser dans cet ouvrage sur
les problèmes de ces catégories d'âge, c'est aussi parce qu'on a tardé
à reconnaître les effets des traumas sur les enfants. " Les enfants
oublient ", " les enfants n'ont pas de représentation de la mort ",
pouvait-on entendre. Alors que les premiers travaux sur les troubles
psychiques des adultes suite à des traumatismes de guerre remontent à
la seconde guerre mondiale, il a fallu attendre la fin des années 70
pour que des professionnels se penchent sur le cas des enfants. Et,
encore aujourd'hui, beaucoup considèrent que les enfants ont peu de
mémoire, et que les marques laissées par les traumas sont donc peu
profondes. C'est une idée fausse particulièrement répandue s'agissant
des bébés.
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"Soigner malgré tout - Tome 2 - Bébé, enfants, adolescents dans la violence"
"Si les enfants et les adolescents ne sont pas traités après un
événement grave qui provoque de la douleur et de la souffrance, ils
deviennent de plus en plus vulnérables à des événements même beaucoup
moins importants. Ils sont à nu, leurs blessures même invisibles sont
béantes et pour certaines, ne cicatriseront pas sans aide."
Marie-Rose Moro
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Comment diagnostique-t-on les traumas chez les bébés ?
Lorsque le diagnostic par le langage n'est pas possible, c'est-à-dire
pour les bébés de 0 à 3 ans, les arrêts de développement sont un
indicateur. Il ne s'agit pas uniquement de la taille et du poids.
Certains opèrent un véritable retour en arrière : ils ne savent soudain
plus marcher, perdent la parole ou cessent d'être propres. C'est un
mode de diagnostic qui peut également être valable pour les enfants
au-delà de trois ans. Pour les bébés, on se concentre aussi sur les
troubles somatiques : difficultés à manger ou à dormir, douleurs
corporelles (en particulier au ventre), etc. Il faut savoir qu'un bébé
sidéré par la frayeur peut se laisser mourir. En Afghanistan, on en a
vu qui vomissaient dès qu'on les nourrissait. Autre exemple, dans les
Territoires palestiniens : 20% des bébés pris en charge dans un centre
nutritionnel thérapeutique (CNT) à Hébron ne parvenaient pas à
reprendre du poids. L'équipe psy dépêchée sur place a constaté des
troubles graves de la relation mère-enfant mais aussi des dépressions
précoces liées au trauma, car il ne faut pas oublier que les bébés
souffrent par eux-mêmes.
En quoi consistent les soins psychologiques que vous prodiguez aux bébés, et quelle est leur efficacité ?
Dans le CNT d'Hébron, notre travail auprès des bébés a consisté à leur
donner des expériences du plaisir, par le biais de massages, de jeux ou
de la parole. Parallèlement, nous avons établi un dialogue avec les
mères, pour faire évoluer la relation mère-enfant. Suite à cette prise
en charge, nous avons obtenu de très bons résultats, puisque tous les
bébés ont été tirés d'affaire en moins de trois mois. Cette expérience
prouve que l'on peut venir en aide aux bébés.
Peut on agir quand les violences se poursuivent et se répètent sur le terrain et est-on efficaces ?
Certes, la répétition des événements traumatiques est désespérante et
peut compromettre l'amélioration ou la guérison d'une personne sur le
plan psychologique. Mais cela ne justifie en aucun cas qu'on ne la
soigne pas.
D'autant
que, dans le cas d'un enfant, le soigner c'est aussi lui permettre de
trouver à l'intérieur de lui les ressources nécessaires pour se
reconstruire, pour être plus fort, pour se battre contre l'adversité et
contre ce qui lui fait peur - c'est donc le protéger pour l'avenir. Un
enfant soigné des effets psychologiques d'un événement de guerre
parfois peu important peut ainsi être capable à l'avenir de résister à
des traumas plus violents. C'est que l'on constate sur des terrains de
crise où les événements de guerre se répètent voire s'amplifient comme
en Palestine mais aussi jusqu'à récemment au Sierra Leone. En revanche,
si les enfants et les adolescents ne sont pas traités après un
événement grave qui provoque de la douleur et de la souffrance, ils
deviennent de plus en plus vulnérables à des événements même beaucoup
moins importants. Ils sont à nu, leurs blessures même invisibles sont
béantes et pour certaines, ne cicatriseront pas sans aide.
Marie-Rose Moro est pédopsychiatre. Elle est avec Thierry Baubet,
psychiatre, référente au Service Médical de MSF en matière de santé
mentale.
"Soigner malgré tout - Bébés, enfants et adolescents dans la violence". Sous la direction de T. Baubet, K. Le Roch, D. Bitar, M.R. Moro. La Pensée sauvage, éditions. ISBN : 2859191844