En termes médicaux, quelles sont les conséquences d'une catastrophe naturelle comme le tremblement de terre au Cachemire ?
L'impact immédiat, ce sont les très nombreuses victimes de la catastrophe. Les morts bien sûr, mais aussi les blessés qu'il faut prendre en charge le plus vite possible. Les gens souffrent de coupures, de fractures, et en l'absence de soins, dans des conditions précaires, leurs plaies peuvent s'infecter. Dans le cas spécifique d'un tremblement de terre, les personnes qui ont été coincées sous sous les décombres de bâtiments effondrés durant plusieurs heures, leurs muscles compressés, peuvent aussi souffrir du " crush syndrome ", qui se manifeste par des dysfonctionnements rénaux.
Ensuite, le tremblement de terre a détruit les maisons et les infrastructures, notamment les systèmes d'approvisionnement en eau potable (puits, canalisations, etc.). La destruction des habitations oblige souvent les populations à se regrouper dans des conditions précaires. C'est cela qui représente le plus gros risque en terme sanitaire : une promiscuité forcée, un accès insuffisant à l'eau potable, aux soins et parfois à la nourriture.
De telles circonstances peuvent provoquer des maladies et favoriser leur propagation. Dormant dehors ou dans des abris de fortune, les gens peuvent contracter des infections respiratoires, en particulier les enfants. Après le tremblement de terre à Bam (Iran) en décembre 2003, la majeure partie des consultations de MSF concernaient des infections respiratoires parce que les personnes sinistrées attrapaient froid pendant la nuit. C'est un risque particulièrement fort dans la région montagneuse du Cachemire où les conditions climatiques sont mauvaises.
Dans deux semaines, l'hiver commencera avec les premières neiges. Il y a également un risque de maladies diarrhéiques liées à la consommation d'eau contaminée. Au Pakistan, la shigellose (maladie dysentérique) peut être un problème spécifique.
Mais il est faux de penser qu'une catastrophe naturelle en elle-même entraîne une vague d'épidémies. Notre expérience des catastrophes naturelles le prouve. Une fois encore, après le Tsunami en Asie du Sud, le chiffon rouge des épidémies a été agité. Mais encore une fois, rien de tel ne s'est produit.
Les médias se focalisent sur le problème des cadavres qui n'ont pas encore été enterrés ou incinérés. Pourtant, les cadavres ne véhiculent pas de maladies contagieuses. Pour les survivants, la priorité en termes de santé publique doit être l'accès à des abris décents, à l'eau potable et à des soins. Bien-sûr les cadavres doivent être ramassés, mais plus pour des raisons psychologiques. Car, encore une fois, les cadavres ne représentent pas une menace épidémique dans ce type de contexte.
En revanche, pour certaines pathologies spécifiques (choléra, dengue, paludisme, etc.), il faut qu'elles existent déjà dans les pays concernés pour qu'il y ait un risque d'épidémie. Au Cachemire, en raison de l'altitude, il n'y a ni paludisme ni dengue. Quant au choléra, présent dans la région, il faut mettre en place un système de surveillance pour détecter l'apparition éventuelle de cas isolés. Et nous devons nous tenir prêts à soigner les malades pour stopper la propagation de la maladie. Enfin, pour la rougeole, la vigilance est aussi de mise, étant donné le faible niveau de couverture vaccinale dans la région.
Mais, encore une fois, ces risques d'épidémies ne sont pas directement liés au tremblement de terre, comme le montrent notre expérience et la littérature scientifique. Des foyers isolés peuvent apparaître, mais ils résultent plutôt des conditions de vie précaires dans les zones détruites. Et la surveillance épidémiologique et des soins doivent permettre d'éviter que ces foyers dégénèrent en épidémie généralisée.
Quel est le rôle d'une organisation humanitaire comme MSF dans une catastrophe comme celle-ci ?
Avant tout, évaluer les besoins, au cas par cas. Les situations sont très différentes d'un village à l'autre, selon le niveau de destruction et le nombre de blessés. Les systèmes de santé déjà fragiles vont probablement être submergés par l'afflux de blessés, mais seulement de manière temporaire. Par ailleurs, au sein même d'un pays, il y a toujours des groupes de populations négligés par les secours, et c'est sur ceux-là que nous tentons de concentrer nos efforts.
Notre pouvons être amenés à intervenir sur différents aspects. Nous pouvons parfois apporter un soutien à la prise en charge des blessés quand c'est nécessaire. Mais soigner les blessés est l'urgence des tout premiers jours, et les ONG arrivent souvent trop tard pour cela. Ce sont surtout des médecins locaux, envoyés depuis les zones du pays épargnées par la catastrophe, qui prennent en charge les blessés.
L'essentiel de notre action va donc consister à assurer un accès aux soins, des distributions matérielles d'urgence (abris, couvertures, etc.) et l'approvisionnement en eau pour les populations affectées par le sinistre. Cela devrait permettre à très court terme une amélioration de leurs conditions de vie, et limiter la mortalité en cas d'apparition et de propagation de maladies. Enfin, nous pouvons participer à l'effort de surveillance épidémiologique.