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« Les os ont littéralement été pulvérisés ». Thierry, chirurgien MSF à Gaza

A l'hôpital Al-Aqsa de Gaza, les équipes de Médecins Sans Frontières (chirurgiens, anesthésistes et infirmiers) soutiennent les équipes locales pour répondre à l'afflux massif de blessés par balle. Palestine. 2018.
A l'hôpital Al-Aqsa de Gaza, les équipes de Médecins Sans Frontières (chirurgiens, anesthésistes et infirmiers) soutiennent les équipes locales pour répondre à l'afflux massif de blessés par balle.  © Laurie Bonnaud/MSF

Thierry Saucier est chirurgien orthopédiste pour MSF à Gaza. Il détaille la complexité de la prise en charge des centaines de personnes blessées lors des manifestations des dernières semaines. Ces blessures, très graves, imposent d’importants défis aux chirurgiens, et nécessiteront des mois, voire des années de soins.

Quels types de blessures observez-vous aujourd’hui parmi les blessés de Gaza ?

Il s’agit de blessures par balles réelles, ciblant dans plus de 95 % des cas, les membres inférieurs, et notamment les genoux. Nous constatons également quelques blessures par balle à l’abdomen et aux membres supérieurs.

Ce qui est plus impressionnant, chez les patients que nous rencontrons depuis trois semaines, ce sont les orifices de sorties des balles. Lorsqu’une balle traverse un corps, elle présente toujours un orifice de sortie légèrement plus large que celui d’entrée. Mais chez les patients que nous traitons aujourd’hui dans nos cliniques de soins postopératoires, l’orifice de sortie témoigne d’une destruction inhabituelle des tissus mous et des os à l’intérieur de la plaie. L’orifice de sortie est démesurément plus large. Il peut avoir la taille d’un poing, voire d’une main ouverte. Ces lésions spectaculaires sont évidemment difficiles à réparer et nécessiteront souvent des greffes ultérieures.

Chez la moitié des blessés que nous rencontrons, la balle a atteint l’os, provoquant des fractures multi-fragmentaires, ce qui signifie que l’os a littéralement été pulvérisé. Les plaies par balle entraînent également des déchirures multiples et irrégulières des tissus mous (la peau, les tendons, les muscles, les nerfs, les artères). Ceci entraîne une dévascularisation, c’est-à-dire l’arrêt de l’alimentation par l’afflux sanguin, ce qui présente de forts risques d’infections.

Si la balle touche le nerf sciatique, c’est la paralysie, qui peut être définitive. Lorsqu’il s’agit d’une plaie artérielle, nous faisons alors face à un risque vital immédiat, ainsi qu’à une dévitalisation des membres. Une amputation est alors souvent nécessaire.

Quels types de chirurgie réalisez-vous pour ces blessés ?

Sur les blessures aux jambes, nous menons principalement des opérations de parage des lésions, qui consistent à retirer les tissus morts. Quand l’os est touché, il s’agit exclusivement de la pose de fixateurs externes. Les nerfs, les muscles et les tendons ne peuvent en général pas être réparés en urgence.

Les blessures étant très sévères, les tissus sont souvent difficilement reconnaissables dans la blessure, quand ils ne sont pas tout simplement absents, emportés par la balle. On ne peut pas toujours reconnaître l’ordre anatomique normal, les repères ne sont plus présents. On doit donc inciser, en amont ou en aval de la blessure, pour retrouver la base d’un nerf, d’un tendon, d’un vaisseau sanguin. Cela se rapproche des chirurgies que l’on pourrait mener en présence de blessures de guerres.

Ces chirurgies sont extrêmement complexes à réaliser et peuvent durer plusieurs heures. Elles sont également compliquées par le manque de certains matériels et équipements. Aujourd’hui, seul un hôpital à Gaza possède l’équipement nécessaire aux greffes de peau et je suis moi-même venu avec mon kit de microchirurgie qui contient notamment des sutures et des loupes. Les équipes aux côtés desquelles nous travaillons, aux hôpitaux Al-Aqsa et Al-Shifa, sont des équipes qualifiées, avec lesquelles nous avons une bonne collaboration.

Quelles seront les séquelles pour les blessés ?

Tout d’abord, les risques de complications, d’infections notamment, sont très importants sur ce type de blessures. Il y a également un risque de perte de substance : lorsqu’un os pulvérisé par une balle se ressoude, il devient nécessairement plus court que celui du membre opposé. Ensuite, bien que les patients soient stabilisés grâce à des opérations d’urgence, la plupart d’entre eux auront besoin de nouvelles opérations. Sans parler des mois, voire des années de rééducation.

La majorité des blessés, dont les balles ont atteint les os, les articulations, les nerfs et les artères, garderont des séquelles toute leur vie. Il s’agit de raccourcissement des membres pour les fractures, de raideurs pour les blessures articulaires, de paralysie pour les nerfs, et de souffrance vasculaires pour les plaies des artères, avec parfois des amputations ultérieures. Le pronostic fonctionnel est très grave chez tous les patients que nous avons vus.

Ces blessures sont indéniablement destructrices pour les vies des patients. Ils les porteront sur le long terme, sans garantie même de pouvoir retrouver un jour leur pleine capacité physique.

Entretien recueilli le 17 avril 2018.

Notes

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