Quel impact l'épidémie d'Ebola a-t-elle eu sur la santé mentale de la population ?
« Plus de 4 800 Libériens sont morts d’Ebola en 2014 et 2015. De nombreuses personnes ont perdu des proches, parfois toute leur famille. Beaucoup de survivants souffrent d'un profond sentiment de culpabilité : certains ont été les premiers de leur famille à attraper le virus, et l’ont transmis aux autres. D’autres sont les seuls à avoir survécu - deux ans après, ils ne cessent de se demander pourquoi ils ont encore en vie tandis que les autres sont morts.
La religion est un moyen pour certains de surmonter le décès de proches, notamment grâce aux rites funéraires. Le sentiment d'appartenance à la communauté et les croyances communes peuvent aussi aider à réduire la douleur et le traumatisme des malades. Mais au plus fort de l'épidémie, même cette possibilité avait disparu car le gouvernement avait dû établir des règles strictes de crémation des corps et interdire les cérémonies d'inhumation.
Dans leur histoire récente, les Libériens ont été confrontés à d'autres situations traumatisantes, comme la pauvreté extrême, les violences, les déplacements de masse et les massacres liés à 13 années de guerre civile, qui a pris fin en 2003. Chez de nombreuses personnes, l'épidémie d'Ebola a fait ressurgir ces douloureux souvenirs, leur rappelant une période de leur vie où la mort était omniprésente.
L’accumulation des traumatismes aide à comprendre les difficultés des Libériens à laisser derrière eux les souvenirs de l'épidémie d'Ebola. Un traumatisme psychologique est comme une blessure ; de la même manière que la peau cicatrise, il laisse une ‘cicatrice psychologique’ indélébile. »
Deux ans après le pic de l'épidémie, quels sont les principaux problèmes auxquels sont confrontés les survivants d'Ebola ?
« Le nombre de personnes souffrant de symptômes physiques, tels que des douleurs articulaires, des migraines ou des problèmes ophtalmologiques, a diminué au fil du temps, mais les problèmes psychologiques demeurent, principalement sous la forme de stress post-traumatique et de dépressions.
Chez les personnes souffrant de stress post-traumatique, les souvenirs traumatiques ont tendance à réapparaitre sous une forme destructrice : le patient revit le traumatisme, la nuit dans ses rêves ou la journée lors de flashbacks, qui provoquent la même peur que le traumatisme originel. C'est comme s’il avait réussi à poser sur la “blessure psychique” un tissu cicatriciel si fin que le simple fait de diminuer le seuil de conscience – comme c’est le cas lorsque l’on dort – suffisait à rouvrir la plaie.
De leur côté, les patients souffrant de dépression ne cessent de repenser au traumatisme, ils ne peuvent exister sans lui. Dans ce cas, le traumatisme est comme une plaie qui ne parvient pas à cicatriser car les patients ne cessent de la gratter. »
Pourquoi MSF a-t-elle ouvert une clinique spécialement dédiée aux survivants d'Ebola ?
« Début 2015, lorsque la fin de l’épidémie d’Ebola a été déclarée pour la première fois au Liberia, les survivants ont soudainement eu du mal à trouver du soutien et des soins. Ils devaient non seulement faire face à un système de santé au bord du gouffre, mais aussi à la stigmatisation et à la peur de la contagion. Souvent, les structures de santé leur refusaient l'accès aux soins. Beaucoup ont dû fuir leurs foyers et abandonner tous leurs biens, se retrouvant parfois totalement seuls car ils avaient perdu tous les membres de leurs familles.
Notre clinique dédiée aux survivants a ouvert en avril 2015. Elle est gérée par une équipe d'anciens employés de centres de traitement d'Ebola, qui prennent en charge des patients souffrant de symptômes physiques ou psychologiques. Initialement, elle ne soignait que les patients sortis des centres de traitement d'Ebola. Début 2016, l’équipe a étendu ses activités à la prise en charge de personnes tombées malades durant l'épidémie qui ne s'étaient pas rendues dans un centre de traitement, aux proches de personnes décédées, ainsi qu’au personnel de santé et aux équipes en charge de la manipulation des cadavres, qui ont fait face à des situations très traumatisantes dans le cadre de leur travail. Plus de 600 patients ont reçu des soins depuis l'ouverture de la clinique. »
Pourquoi MSF a-t-elle décidé de fermer progressivement ses activités auprès des survivants d'Ebola ?
« D’une part, le nombre de consultations à la clinique, d’environ 240 par mois, est stable. De l’autre, les autorités libériennes ont décidé d'intégrer la prise en charge des survivants d'Ebola au système de santé du pays, car la stigmatisation dans les structures de santé est aujourd’hui moindre.
Nous nous sommes aussi demandés si une clinique pour les survivants aidait réellement les patients à surmonter leur passé. Bien souvent, le seul document d’identité dont ces personnes disposent est un certificat de guérison d'Ebola. Le nom même de la clinique renvoie les patients uniquement à leur identité de malades, de victimes post-traumatiques.
C'est pourquoi nous avons décidé de fermer progressivement la clinique et de transférer les patients dans d'autres structures qui seront en mesure de leur proposer des soins aussi longtemps qu'ils en auront besoin. »