« Nous sommes actuellement dans l’hôpital Ibn Sina, le principal hôpital de la ville de Syrte. Nous sommes ici depuis trois jours. Aujourd’hui, nous avons entendu plus de tirs qu’hier - il y a beaucoup de bruit, celui constant de l’artillerie lourde. Les combats se poursuivent au Nord de la ville et d’ici nous pouvons voir des combattants se diriger vers la ligne de front avec des munitions, des pick-ups blindés et des chars.
Dans les quartiers de Syrte où nous nous sommes déplacés, il n’y a plus du tout de civils : les maisons sont détruites et vides. Avant le conflit, il y avait plus de 100 000 personnes vivant à Syrte. Mais il y a trois à quatre semaines, 75 à 80% de la population a fui, la plupart vers Misrata. Les 10 000 personnes qui seraient encore ici, dans la partie nord de la ville, sont complètement piégées par les combats, sans eau ni électricité.
À l'hôpital, nous avons de l'électricité grâce à un générateur, mais jusqu'à aujourd'hui il n'y avait pas d'eau. L'ambiance est extrêmement pesante. Nous avons 50 patients, tous blessés, avec des traumatismes, des fractures ou des brûlures, et tous ont besoin de chirurgie. La plupart sont de jeunes adultes mais nous avons aussi quelques femmes et enfants blessés dans les combats.
Ces derniers jours, les patients n'avaient pas pu recevoir de soins médicaux appropriés faute de médecins mais aussi par manque d’eau. Sans eau, impossible de faire une intervention chirurgicale. Les blessures de certains patients sont vraiment mauvaises et très infectées. Ils ont besoin de toute urgence d’un débridement chirurgical. La situation est très sérieuse. Aujourd'hui, MSF a apporté 50 000 litres d'eau et d’autres acteurs de l’aide en ont apporté plus encore. Désormais, nous avons l'eau courante à l'hôpital.
Mais l’hôpital Ibn Sina est très endommagé et porte les stigmates de lourds combats. Tous les patients sont au rez-de-chaussée, alors que le premier étage et le sous-sol servent d’hébergement provisoire à une cinquantaine de personnes victimes des violences et dans l'attente de pouvoir partir.
L’hôpital n'est pas un lieu sûr. Hier et aujourd'hui encore, beaucoup de combattants y sont entrés avec des fusils, inspectant chaque patient et à la recherche d’on ne sait qui. Il est très important que les hôpitaux, le personnel médical et les ambulances soient autorisés à porter une assistance sans entrave et en toute sécurité. Pour notre équipe, il est trop dangereux pour le moment de rester ici pendant la nuit, c’est pourquoi, chaque soir, nous faisons le trajet de deux heures pour retourner à notre base à Misrata. Le personnel médical de l'hôpital a été incroyable, je dirais même véritablement héroïque : dans les dernières semaines, il y avait cinq médecins libyens ainsi que 25 à 30 infirmières, beaucoup originaires d’Inde et du Bangladesh. Ils étaient là au plus fort de la crise et ont été directement exposés à la violence. Ils ont travaillé sous les bombardements, sous les menaces des troupes de Kadhafi leur ordonnant de venir soigner leurs soldats. Aujourd’hui, ils sont épuisés et ont besoin du meilleur soutien qu’on puisse leur apporter.
Heureusement, la situation pour eux s’est nettement améliorée. Huit médecins viennent d’arriver de Tripoli - chirurgiens et anesthésistes - ainsi que quatre infirmières. Désormais, la situation est revenue à la « normale ». L'équipe MSF est quant à elle composée de trois médecins, deux infirmières et une psychologue, ainsi que deux autres infirmières et deux psychologues qui viennent juste de nous rejoindre.
Les besoins en santé mentale sont énormes. Au moins 15 des 50 patients, qui ont tous des traumatismes liés à des blessures, ont besoin d’un soutien psychologique. Ils souffrent du syndrome de stress post-traumatique. Ils ont des cauchemars, des flashbacks et sont dépressifs. Certains ne peuvent même pas parler, juste pleurer, et un des patients est suicidaire. Tous, particulièrement les mères et les enfants, ont besoin de soutien - ils essayent de surmonter ce qui s'est passé pour eux.
Quand nous sommes arrivés, il manquait des médicaments. La première livraison que nous avons effectuée comportait des analgésiques, des antibiotiques pour toutes les infections de plaies, et des médicaments pour les maladies chroniques. La pharmacie est désorganisée, mais aujourd’hui elle est bien fournie.
Tout le monde ici est fortement engagé pour améliorer les conditions de l'hôpital et le rendre fonctionnel. Dans Syrte, il y a probablement près de 10 000 personnes encore piégées par les combats, certains d'entre eux blessés, mais incapables de quitter leur maison. Si la situation se calme dans les prochains jours, ces gens pourront se rendre à l'hôpital qui, du coup, recevra beaucoup plus de patients. C'est pourquoi il est si important de s'assurer que tout - le personnel, les médicaments, l'électricité et l'eau - soit en place. »