« Au Soudan du Sud, il est rare qu’une femme n’ait pas perdu au moins un enfant. Ils meurent à la naissance, ou plus tard, emportés par la malnutrition, le paludisme, une infection, une maladie inexpliquée, etc. Quand une femme se présente dans notre service, on lui pose systématiquement deux questions. D’abord, « combien avez-vous eu d’enfants ? ». Puis : « combien sont vivants ? »
La mort de leur bébé affecte ces femmes d’une manière ou d’une autre. Elles sont extrêmement stoïques. Je n’ai jamais vu une femme qui venait de perdre son bébé (et j’en ai déjà vu beaucoup) réagir par des pleurs, ni même par une expression faciale indiquant la tristesse. Je trouve ça stupéfiant !
La femme que nous accueillons ce jour a déjà eu deux grossesses, et à chaque fois l’enfant était mort-né. Après examen, nous constatons que son bassin est trop étroit, comme celui de la plupart des femmes du pays, et ne permettra à aucun bébé de sortir vivant. La césarienne est l’unique moyen pour qu’elle accouche enfin d’un bébé vivant. Pendant l’opération chirurgicale, je réussis, non sans mal, à extraire la tête de l’enfant qui se met immédiatement à pleurer. C’est une fille. Katie, la sage-femme australienne, approche le bébé du visage de sa mère pour le lui montrer pendant que nous terminons l’intervention. La mère n’affiche aucune expression, mais des larmes coulent sur son visage quand elle découvre son enfant en bonne santé.
A la fin de l’opération, je tente de recueillir les premières impressions de la jeune maman en employant mes maigres mots de dinka*. Je lui demande si elle va bien. Elle hoche simplement la tête. Interloquée, je la questionne sur la bonne santé de l’enfant. Nouveau hochement de tête. Je me tourne vers l’infirmier pour savoir si elle est heureuse. Il me répond qu’elle l’est. Aucune expression ne transparaît sur son visage. Je la crois sur parole, à la fois décontena849ncée et fascinée par une telle impassibilité. »
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