Julian Assange est un journaliste aujourd’hui incarcéré depuis quatre ans et en détention provisoire à la prison de haute sécurité de Belmarsh, dans la banlieue de Londres. Son crime : avoir publié des documents révélant des crimes de guerre commis par les Etats-Unis et leurs alliés. Les voies de recours étant quasiment épuisées, le fondateur de l’ONG Wikileaks pourrait bientôt être extradé et jugé par un tribunal aux Etats-Unis, où il risque une peine de 175 ans de prison pour des faits d’espionnage. L’emprisonnement, la persécution que subit Assange privé de liberté depuis plus de onze ans (il s’était auparavant réfugié à l’ambassade d’Equateur), et le risque imminent de son extradition créent une dangereuse jurisprudence concernant la dénonciation de crimes de guerre : assimilant le témoignage et le droit d’informer à de l’espionnage, elle menace le travail des journalistes et celui d’ONG qui, comme MSF, tentent de faire acte de résistance en parlant publiquement des exactions et crimes de guerre qu’elles subissent ou dont elles sont directement ou indirectement le témoin.
En ce sens, le travail accompli par Wikileaks entre en résonnance avec une part de la mission sociale de MSF : la vidéo « Collateral murder », montre ainsi le massacre en 2007 d’un groupe de civils à Bagdad parmi lesquels se trouvaient deux journalistes de l’agence Reuters. Par la diffusion de documents qui lui ont été transmis, Wikileaks a également révélé un plus grand nombre de victimes civiles afghanes ou irakiennes que celui annoncé publiquement par l’armée américaine. Pris parmi d’autres, ces exemples rappellent des contextes ou des faits auxquels les équipes de MSF sont ou ont été confrontées, et dont elles sont parfois même la victime. Parce que le sort réservé à Julian Assange concerne tous ceux qui pourraient être amenés à subir ou à dénoncer des crimes de guerre, MSF exprime sa solidarité avec Julian Assange.
Dans les pays en conflit, MSF peine à connaître la vérité quand ses structures de santé ou ses équipes sont attaquées. L’opportunité pour MSF de s’exprimer publiquement sur des crimes de guerre ou sur des injustices est elle aussi régulièrement entravée par des menaces d’expulsion ou de représailles plus ou moins verbalisées par des États et des groupes armés. D’où l’importance du travail d’une ONG comme Wikileaks et de son fondateur, persécuté par la justice états-unienne pour avoir révélé de tels crimes. C’est aussi en se retranchant derrière le sort réservé à Julian Assange que le président de la République démocratique du Congo a récemment justifié l’arrestation du journaliste Stanis Bujakera Tshiamala, emprisonné pour avoir dévoilé le rôle des renseignements militaires dans l’assassinat d’un ancien ministre et opposant. Pour répondre à la critique, Félix Tshisekedi s’est également appuyé sur l’exemple plus récent d’Ariane Lavrilleux, journaliste harcelée par les autorités françaises pour avoir dénoncé le bombardement de civils au cours d’opérations militaires menées conjointement par la France et l’Égypte et détournées de leur objectif initial.
Au-delà du caractère inédit de la traque judiciaire internationale lancée contre Julian Assange, la vengeance des Etats-Unis contre le fondateur de Wikileaks est également choquante au regard de la campagne de diffamation qu’il a subie : bien que les charges aient été abandonnées et que les reproches adressés à Assange n’aient jamais été démontrés dans les faits, cette campagne de calomnies orchestrée avec la complicité de la Grande-Bretagne et de la Suède l’a discrédité aux yeux d’une partie du public, accentuant la difficulté d’un quelconque soutien manifesté pour Assange. Pour le réhabiliter dans ses droits et parce que la liberté d’informer est essentielle au fonctionnement de toute société, MSF exprime là aussi sa solidarité avec Julian Assange et se joint à tous ceux qui se battent pour obtenir sa libération.
C’est enfin en tant que représentante d’une organisation médicale et pour des raisons humanitaires que les persécutions et les poursuites contre Assange, que l’on sait mentalement et physiquement affaibli, doivent cesser au plus vite. Déjà en 2020 à Londres, les experts médicaux insistaient devant les juges sur la dégradation de son état de santé.
Pour toutes ces raisons et parce qu’il y a urgence, MSF rejoint les signataires de la pétition lancée par Amnesty international et demande la libération inconditionnelle et immédiate de Julian Assange.