Niger - « Il faut des distributions gratuites de nourriture »

Début juin, nous avons ouvert à Tahoua notre quatrième centre de
nutrition thérapeutique au Niger. Issiaka Abdou, Nigérien, travaille
avec MSF depuis 2001. Responsable terrain à Tahoua, il ne cache pas son
inquiétude devant la dégradation de la situation nutritionnelle et
l'insuffisance de la mobilisation nationale comme internationale face à
cette crise.

Cela fait maintenant deux mois que l’alerte à la malnutrition au Niger a été donnée. Depuis, qu’est-ce qui a changé ?
Face à une telle urgence, on pourrait s'attendre à une réaction immédiate. Pourtant, sur le terrain, rien n'a changé ou presque.
En plus de son centre de nutrition thérapeutique de Maradi, ouvert en 2001, Médecins Sans Frontières en a ouvert trois nouveaux à Dakoro, Keita, et Tahoua. Et 27 centres de nutrition ambulatoires complètent maintenant ce dispositif. Les admissions continuent d'augmenter, avec près de 1.000 enfants souffrant de malnutrition sévère accueillis par semaine au mois de juin ! Mais il faudrait une prise en charge des enfants qui souffrent de malnutrition modérée.

On entend bien parler de projets, mais ils tardent à se concrétiser. Certes, une prise de conscience de la gravité de la crise, de l'ampleur de la malnutrition, a eu lieu. Le gouvernement a appelé à l'aide, des organisations ont lancé des appels de fonds. Mais à part ce changement de discours, pratiquement rien ne se passe ! Sur le terrain, l'aide alimentaire n'arrive pas ou très peu aux familles qui en ont le plus besoin et l'accès aux soins reste très limité. Qu'est-ce qu'on attend ? Le pire va arriver si rien n'est fait. Il faut une distribution de nourriture et l'accès aux soins gratuits des moins de cinq ans avant le mois de juillet.

Pourquoi le mois de juillet ?
En avril, une enquête nutritionnelle avait montré qu'un enfant sur cinq souffrait de malnutrition dans des villages au nord des provinces de Maradi et de Tahoua. De plus, sur 1.500 familles interrogées, 67 mères avaient déclaré avoir perdu un enfant de moins de cinq ans au cours des cent derniers jours, ce qui indiquait un taux de mortalité déjà supérieur au seuil d'urgence.
Depuis, la situation s'est encore aggravée. On voit déjà de très nombreux cas de malnutrition sévère, des enfants qui pèsent entre trois et cinq kilos à l'âge de un ou même deux ans... Nous sauvons la très grande majorité des enfants admis dans nos centres nutritionnels, mais pas tous. Chaque semaine nous déplorons entre dix et vingt décès. Combien meurent dans les villages, sans qu'on le sache ?

Le démarrage de la saison des pluies au début du mois de juin augmente le risque pour les enfants affaiblis de basculer dans la malnutrition sévère et de mourir. En effet, lors de la saison des pluies, paludisme, diarrhées ou infections respiratoires deviennent plus fréquents. Les enfants affaiblis n'ont pas la force de lutter contre la maladie. Et inversement, les enfants malades n'ont pas la force d'avaler le peu de nourriture dont ils disposent.

Il est déjà trop tard pour certains. Mais pour tous ceux pour qui il est encore temps, il faut réagir vite.

Les centres de santé nigériens ne prennent-ils pas en charge les enfants malnutris ou malades ?
Théoriquement, au Niger, les patients payent la consultation mais les médicaments sont gratuits. Dans la pratique, la consultation coûte entre 300 et 600FCFA (0,5 à 1 euro) pour les enfants et les médicaments sont payants. Par exemple, dans l'hôpital de Tahoua au cours du mois de mai, nous avons calculé qu'en moyenne, l'ordonnance pour un enfant souffrant de malnutrition était de 15.000FCFA (23 euros). Ceux qui ne peuvent pas payer n'ont pas de médicaments. Résultat, très peu d'enfants ont accès aux soins.

Dans 26 centres de santé, le jour où un centre de nutrition ambulatoire de MSF est présent dans le village, les enfants sont pris en charge gratuitement. Et le Premier ministre a récemment demandé que tous les enfants malnutris soient soignés gratuitement. Reste à voir comment cette mesure sera appliquée concrètement. Et il faudrait que les enfants malades mais pas encore atteints par la malnutrition soient eux aussi soignés gratuitement, avant qu'ils ne perdent du poids.

Dans les zones les plus touchées par la malnutrition, de nouvelles ventes à prix modéré et des « crédits de campagne » ont été annoncés. Pourquoi demander des distributions gratuites de nourriture?
Ceux qui n'ont plus d'argent ne peuvent pas payer, même à prix modéré. Les plus pauvres restent donc exclus de ce système d'aide. C'est pour ça que le gouvernement envisage de mettre en place des crédits de campagne : les familles recevraient trois sacs de 100 kilos de céréales, remboursables en octobre. On ne sais pas encore si cela va se faire, qui recevrait cette aide et dans quel délai. Mais surtout, la question à se poser, c'est combien de familles pourront rembourser et dans quel délai ? Même les années de bonnes récoltes, il y a une période de soudure durant laquelle la malnutrition augmente. Sur Maradi, nous l'observons chaque année depuis 2001. Une bonne récolte, c'est quoi ? 7 mois de réserves, jusqu'en mai. Cela veut dire que rembourser dès octobre l'équivalent de deux mois de consommation, c'est ne plus avoir que cinq mois de réserves. On prend donc le risque de retrouver une malnutrition importante dès le mois d'avril prochain.

Notes

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