Cela fait maintenant deux mois que l’alerte à la malnutrition au Niger a été donnée. Depuis, qu’est-ce qui a changé ?
Face à une telle urgence, on pourrait s'attendre à une réaction
immédiate. Pourtant, sur le terrain, rien n'a changé ou presque.
En
plus de son centre de nutrition thérapeutique de Maradi, ouvert en
2001, Médecins Sans Frontières en a ouvert trois nouveaux à Dakoro,
Keita, et Tahoua. Et 27 centres de nutrition ambulatoires complètent
maintenant ce dispositif. Les admissions continuent d'augmenter, avec
près de 1.000 enfants souffrant de malnutrition sévère accueillis par
semaine au mois de juin ! Mais il faudrait une prise en charge des
enfants qui souffrent de malnutrition modérée.
On entend bien
parler de projets, mais ils tardent à se concrétiser. Certes, une prise
de conscience de la gravité de la crise, de l'ampleur de la
malnutrition, a eu lieu. Le gouvernement a appelé à l'aide, des
organisations ont lancé des appels de fonds. Mais à part ce changement
de discours, pratiquement rien ne se passe ! Sur le terrain, l'aide
alimentaire n'arrive pas ou très peu aux familles qui en ont le plus
besoin et l'accès aux soins reste très limité. Qu'est-ce qu'on attend ?
Le pire va arriver si rien n'est fait. Il faut une distribution de
nourriture et l'accès aux soins gratuits des moins de cinq ans avant le
mois de juillet.
Pourquoi le mois de juillet ?
En avril, une enquête nutritionnelle avait montré qu'un enfant sur cinq
souffrait de malnutrition dans des villages au nord des provinces de
Maradi et de Tahoua. De plus, sur 1.500 familles interrogées, 67 mères
avaient déclaré avoir perdu un enfant de moins de cinq ans au cours des
cent derniers jours, ce qui indiquait un taux de mortalité déjà
supérieur au seuil d'urgence.
Depuis,
la situation s'est encore aggravée. On voit déjà de très nombreux cas
de malnutrition sévère, des enfants qui pèsent entre trois et cinq
kilos à l'âge de un ou même deux ans... Nous sauvons la très grande
majorité des enfants admis dans nos centres nutritionnels, mais pas
tous. Chaque semaine nous déplorons entre dix et vingt décès. Combien
meurent dans les villages, sans qu'on le sache ?
Le démarrage de
la saison des pluies au début du mois de juin augmente le risque pour
les enfants affaiblis de basculer dans la malnutrition sévère et de
mourir. En effet, lors de la saison des pluies, paludisme, diarrhées ou
infections respiratoires deviennent plus fréquents. Les enfants
affaiblis n'ont pas la force de lutter contre la maladie. Et
inversement, les enfants malades n'ont pas la force d'avaler le peu de
nourriture dont ils disposent.
Il est déjà trop tard pour certains. Mais pour tous ceux pour qui il est encore temps, il faut réagir vite.
Les centres de santé nigériens ne prennent-ils pas en charge les enfants malnutris ou malades ?
Théoriquement, au Niger, les patients payent la consultation mais les
médicaments sont gratuits. Dans la pratique, la consultation coûte
entre 300 et 600FCFA (0,5 à 1 euro) pour les enfants et les médicaments
sont payants. Par exemple, dans l'hôpital de Tahoua au cours du mois de
mai, nous avons calculé qu'en moyenne, l'ordonnance pour un enfant
souffrant de malnutrition était de 15.000FCFA (23 euros). Ceux qui ne
peuvent pas payer n'ont pas de médicaments. Résultat, très peu
d'enfants ont accès aux soins.
Dans
26 centres de santé, le jour où un centre de nutrition ambulatoire de
MSF est présent dans le village, les enfants sont pris en charge
gratuitement. Et le Premier ministre a récemment demandé que tous les
enfants malnutris soient soignés gratuitement. Reste à voir comment
cette mesure sera appliquée concrètement. Et il faudrait que les
enfants malades mais pas encore atteints par la malnutrition soient eux
aussi soignés gratuitement, avant qu'ils ne perdent du poids.
Dans
les zones les plus touchées par la malnutrition, de nouvelles ventes à
prix modéré et des « crédits de campagne » ont été annoncés. Pourquoi
demander des distributions gratuites de nourriture?
Ceux qui n'ont plus d'argent ne peuvent pas payer, même à prix modéré.
Les plus pauvres restent donc exclus de ce système d'aide. C'est pour
ça que le gouvernement envisage de mettre en place des crédits de
campagne : les familles recevraient trois sacs de 100 kilos de
céréales, remboursables en octobre. On ne sais pas encore si cela va se
faire, qui recevrait cette aide et dans quel délai. Mais surtout, la
question à se poser, c'est combien de familles pourront rembourser et
dans quel délai ? Même les années de bonnes récoltes, il y a une
période de soudure durant laquelle la malnutrition augmente. Sur
Maradi, nous l'observons chaque année depuis 2001. Une bonne récolte,
c'est quoi ? 7 mois de réserves, jusqu'en mai. Cela veut dire que
rembourser dès octobre l'équivalent de deux mois de consommation, c'est
ne plus avoir que cinq mois de réserves. On prend donc le risque de
retrouver une malnutrition importante dès le mois d'avril prochain.