Qu'est ce qui t'as le plus marqué durant cette visite ?
Ce qui m'a frappé, c'est que nous parlons maintenant de dizaines de
milliers d'enfants traités ! 26.000 enfants admis depuis janvier dans
nos programmes de la région de Maradi ; 140.000, toutes ONG confondues,
sur l'ensemble du Niger : nos anciens repères sont totalement dépassés.
Il y a deux ans, nous ne savions soigner que 10.000 enfants dans
l'année, au mieux 20.000, uniquement les cas les plus sévères.
L'accès à la nourriture pose-t-il encore problème dans la région de Maradi ?
La situation reste critique, avec un phénomène de paupérisation très
inquiétant et une usure des stratégies d'adaptation mises en place pour
traverser les mois les plus difficiles. De nombreuses familles
survivent à crédit et manquent de nourriture. Parce qu'elles
remboursent en nature les dettes contractées l'année précédente à des
taux usuriers/élevés, leurs réserves engrangées après la récolte
d'octobre s'épuisent dès mars ou avril et elles doivent restreindre
leur consommation alimentaire. Quand elles n'ont pas de quoi
rembourser, elles sont obligées de vendre leurs terres... Dans cette
région, il y a de plus en plus de "paysans sans terre". Et la forte
solidarité dans les villages atteint ses limites lorsque la pénurie est
trop importante.
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Centre ambulatoire de Dan Issa
Les onze centres nutritionnels ambulatoires de MSF dans la région de
Maradi permettent de prendre en charge la plupart des cas de
malnutrition aiguë. Seuls les enfants qui souffrent en plus d'une
complication médicale ont besoin d'être hospitalisés.
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En ce début de période de soudure, les admissions dans nos centres augmentent-elles déjà ?
La courbe est ascendante, avec plus de 1.500 admissions par semaine
depuis mi-mai et plus de 2.000 fin juin. Or l'année dernière, 60% des
enfants ont été pris en charge entre mi-juillet et mi-octobre. A cette
époque de l'année, le manque de nourriture en quantité comme en qualité
est particulièrement important et c'est aussi la saison du paludisme,
des diarrhées et des infections respiratoires.
Cette
année, nous admettons tous les enfants souffrant de malnutrition aiguë,
sévère ou modérée. Neuf enfants sur dix suivent le traitement
nutritionnel avant d'avoir atteint un stade sévère. Cette nouvelle
stratégie de prise en charge rend toute comparaison avec les années
précédentes difficile, mais nous espérons qu'elle permettra de réduire
le taux de mortalité sur toute l'année et particulièrement pendant la
période de soudure.
Les moyens déployés pour faire face à la situation nutritionnelle au Niger sont-ils satisfaisants ?
La plupart de nos onze centres nutritionnels ambulatoires sont
maintenant ouverts toute la semaine et nous en ouvrirons d'autres au
besoin. La section belge de Médecins Sans Frontières débute un
programme à Aguié et la section espagnole est maintenant présente à
l'ouest de la région de Maradi. La section suisse poursuit ses
activités dans la région de Zinder. Dans tous les centres de MSF, les
enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère ou modérée sont
désormais soignés avec un aliment thérapeutique prêt à l'emploi (le
Plumpy'Nut) dont l'efficacité est prouvée.
Au-delà
de MSF, la réponse est conséquente. Le ministère de la Santé nigérien,
les agences des Nations unies et les différentes ONG ont prévu de
prendre en charge 500.000 enfants en 2006. De juillet à septembre, le
Programme alimentaire mondial (PAM) va distribuer 12 kilos de céréales
par mois et par enfant de moins de cinq ans dans les régions de Maradi,
Zinder et Tahoua, où la malnutrition aiguë est importante. Le
gouvernement nigérien a par ailleurs adopté un nouveau protocole de
prise en charge de la malnutrition aiguë sévère ainsi que la gratuité
des soins pour les enfants de moins de cinq ans.
Evidemment la
traduction sur le terrain de ces décisions politiques n'est pas
toujours visible, il faudra pour cela du temps et surtout des moyens
importants, mais tout témoigne d'une forte volonté de s'attaquer à
cette question de santé publique.
Le point qui reste
critiquable dans la réponse est que l'utilisation du traitement le plus
efficace est essentiellement limitée aux enfants souffrant de
malnutrition sévère. Or ceux au stade dit modéré de la malnutrition ont
eux aussi besoin de cette prise en charge thérapeutique, rendue
possible par les aliments thérapeutiques prêts à l'emploi et la
stratégie ambulatoire. Pour la majorité des enfants, c'est la mère qui
devient le soignant et les résultats de nos programmes au Niger
prouvent qu'elles sont efficaces : plus de 94% de guérison !
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Les mères, soignantes efficaces
Au Niger, la malnutrition est très souvent attribuée aux mères, à leur
ignorance, leur manque d'hygiène, leur fidélité à des tabous
alimentaires... Pourtant les mères ont été les premières à comprendre
que le malnutrition n'est pas une fatalité et qu'avec un produit
adapté, leurs enfants peuvent être sauvés.
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On entend pourtant très souvent que les mères ne s'occupent pas bien de leurs enfants !
Personne ne leur fait confiance. Au Niger, la malnutrition est très
souvent attribuée aux mères, à leur ignorance, leur manque d'hygiène,
leur fidélité à des tabous alimentaires... Pourtant les mères ont été
les premières à comprendre que le malnutrition n'est pas une fatalité
et qu'avec un produit adapté, leurs enfants peuvent être sauvés. J'ai
rencontré une femme qui avait parcouru 250 kilomètres pour emmener son
enfant au centre de nutrition ! Parce qu'elle pensait qu'il y avait
effectivement une chance de le sauver, elle a surmonté tous les
obstacles, dont l'opposition de son mari, pour venir. Tout le monde
connaît les centres de nutrition, chacune a vu l'enfant d'une voisine
ou d'une parente reprendre du poids et se porter bien. Pour moi, c'est
vraiment le principal changement, et le plus encourageant.
Dans
une majorité des cas, il suffit de donner aux enfants un aliment
thérapeutique pour qu'ils reprennent du poids et des forces. Le
problème désormais, c'est que les familles n'ont pas les moyens
d'acheter ce produit. Le prix d'un traitement (2 sachets de Plumpy'nut
par jour pendant un mois) est d'une quinzaine d'euros. Tout l'enjeu est
donc aujourd'hui de réduire son coût pour le rendre accessible dans un
pays où le pouvoir d'achat des familles est extrêmement faible.