Pourquoi nous suspendons la collecte sur l'urgence en Asie

Indonésie 4 janvier 2005.
Indonésie, 4 janvier 2005. © Christian Aslund

Les explications de Pierre Salignon, directeur général de MSF :  " C'est la première fois que nous sommes amenés à prendre ce genre de décision. Cela peut paraître complètement à contre-courant de l'atmosphère de mobilisation générale mais c'est une question d'honnêteté vis-à-vis de nos donateurs. "

MSF a reçu énormément de dons. Que pensez-vous de cet élan de générosité?

C'est un élan de solidarité exceptionnel, à l'instar de l'ampleur de la catastrophe et de l'émotion qu'elle a suscitée à travers le monde. Nous en remercions chaleureusement les donateurs qui nous permettent de déployer nos secours. En France, comme dans l'ensemble des sections MSF à l'étranger, nous constatons une mobilisation du public sans précédent. Huit jours après la catastrophe, nous avons déjà collecté plus de 40 millions d'euros de fonds affectés à cette crise au niveau international, dont 5 millions pour la seule section française de MSF. A titre d'exemple, l'année dernière à la même époque, pour le tremblement de terre à Bam, en Iran, nous avions recueilli 600 000 euros en 15 jours en France. Cet été, pour le Darfour, nous avons réuni un peu plus de 650 000 euros en deux mois. Aujourd'hui, nous sommes donc réellement face à des volumes de fonds collectés jamais atteints en un temps si court.

Comment allez-vous concrètement utiliser ces fonds sur le terrain?

Après avoir conduit plusieurs explorations et apporté un appui ponctuel notamment en Thaïlande, nous avons décidé de concentrer essentiellement nos secours sur les côtes Est et Sud du Sri Lanka et la région de Banda Aceh au Nord de l'Indonésie, deux zones où les populations ont été particulièrement touchées.

A situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. Vu l'ampleur de la catastrophe et l'ampleur de la mobilisation, nous pouvons également être amenés à sortir de notre rôle strictement médical comme nous l'avons déjà fait au Kosovo en 1999, lorsque nous avions lancé l'opération " 1000 toits pour le Kosovo ". En effet, au-delà des besoins d'urgence (soins, eau, abris, nourriture, etc.), les pays touchés vont avoir d'énormes besoins sur le moyen et long terme. Même si nous envisageons de nous engager en ce sens, nous sommes une ONG médicale et ne pouvons nous improviser spécialistes de la reconstruction. Nous n'en avons ni les compétences, ni les capacités. Cela relève de plus d'avantage de l'aide bilatérale d'Etat à Etat. Il faut le dire, c'est une question de transparence vis-à-vis de nos donateurs.

C'est pourquoi nous suspendons la collecte pour nos programmes de secours à destination des populations sinistrées par le raz-de-marée. L'argent déjà reçu nous permet d'envisager des opérations massives dans les différents pays concernés.

N'est-ce pas choquant, compte tenu de l'émotion provoquée par la catastrophe, d'appeler à stopper les dons pour l'Asie ?

Attention, loin de nous l'idée de vouloir briser l'élan de solidarité à destination de l'Asie. Nous ne prenons cette décision que pour notre association. Parce que les 40 millions d'euros collectés pour l'Asie du Sud nous permettent déjà de couvrir une opération massive et d'envergure de l'ensemble de notre mouvement international.

Or, nous avons des engagements très stricts vis-à-vis de nos donateurs : chaque euro collecté pour l'Asie du Sud sera dépensé pour des programmes dans la région. C'est vrai pour les dons que nous avons déjà reçus, et pour ceux qui continuent de nous parvenir par courrier avec une demande d'affectation à cette catastrophe. En cas de trop perçu, nous nous engageons à demander individuellement à nos donateurs s'ils acceptent que leurs dons soient affectés à une autre crise, ou, le cas échéant, à les rembourser.

C'est la première fois que nous sommes amenés à prendre ce genre de décision de suspension d'appel à la générosité de nos donateurs. Cela peut paraître complètement à contre-courant de l'atmosphère de mobilisation générale mais c'est une question d'honnêteté vis-à-vis de nos donateurs : nous ne voulons pas continuer à solliciter le public pour des opérations qui sont déjà financées.

En revanche, nous avons toujours besoin du soutien du public et de fonds pour l'ensemble de nos autres programmes. Nous continuons de travailler notamment auprès des malades victimes des grandes pandémies, comme le sida et la tuberculose, et auprès des populations victimes de conflits oubliés comme celui qui continue de faire rage dans le nord de la République démocratique du Congo ou qui ont quitté la Une de l'actualité comme au Darfour (Soudan). Pour tous ces programmes, moins médiatisés, nous continuons d'avoir besoin du soutien du public.

Notes

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