Quand nous sommes arrivés à l'hôpital de Mansehra, tous les patients
étaient installés dehors. Cet hôpital était flambant neuf, le séisme a
tout lézardé, il a fallu installer des tentes-hôpital dans la cour pour
héberger les patients. Les secousses continuent, c'est très
impressionnant quand on est entre 4 murs, et cela génère à chaque fois
des instants de frayeur chez les victimes du séisme. Sous la tente on
se sent plus en sécurité...
Pour
mener notre évaluation, nous avons circulé entre les lits, regardé ces
enfants prostrés, sans expression, le regard vide. Certains semblaient
être seuls, alors qu'ils ne l'étaient pas. Ils n'avaient pas de
réaction quand nous essayions de parler avec eux, ou ils se mettaient à
pleurer. Pour un de ces petits garçons, la parole était impossible, sa
blessure psychique trop à vif. Il a fallu avancer à tous petits pas,
chaque jour passer pour dire bonjour, évoquer le quotidien - "Tu as
bien dormi ? Tu as mangé ?" - surtout sans faire aucune allusion au
séisme, au deuil, à l'événement traumatique. Après 4 ou 5 jours
l'enfant a émergé.
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Pour ce petit garçon, la parole était impossible, sa blessure psychique
à vif. Au bout de quelques jours, il a emergé. On le voit ici avec
l'oncle qui l'a recueilli, et qui va l'élever avec ses enfants.
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S'occuper d'abord des blessés
Après une catastrophe d'une telle ampleur, les gens s'activent
naturellement à reconstituer un minimum de sécurité pour eux et leur
famille : retrouver un abri, de quoi manger, etc. Pendant cette
période, les gens n'ont pas besoin de soutien psychologique. En
revanche, pour les personnes immobilisées, hospitalisées, il y a une
souffrance très importante, alors que le personnel soignant, débordé,
n'a pas forcément le temps de s'asseoir pour les écouter, les
réconforter.
Le
séisme au Pakistan a eu pour conséquences un nombre très important de
blessés graves, aux bras, aux jambes, aux mains, aux pieds. Faute de
soins adéquats dans les premiers jours, les plaies se sont infectées,
parfois même gangrenées, et il a fallu procéder à des amputations. Ces
blessés, et parmi eux les enfants, sont particulièrement vulnérables.
L'équipe de santé mentale est là pour les aider à émerger de cet état
de choc émotionnel, qui se traduit par des signes cliniques bien
identifiés.
Il s'agit d'un état prolongé de "sidération
psychique", où la personne est émotionnellement paralysée, ne peut pas
parler, dormir, manger, n'arrive plus à communiquer spontanément même
si elle souffre physiquement. Chacun est équipé différemment pour
réagir à ce genre de situations, selon son parcours personnel, ses
croyances, sa culture...
Le jeu comme médiation
Noureen a 10 ans. Elle était à l'école quand la terre a tremblé.
Blessée à la jambe, elle a été opérée trois fois avant que les médecins
pakistanais n'aient plus d'autre choix que de l'amputer. Sa maman est
décédée dans le tremblement de terre, ainsi qu'une de ses soeurs. Ce
jour-là, je n'avais pas de traductrice avec moi. J'ai commencé à
dessiner, une maison, un arbre, puis une petite fille. Ensuite je lui
ai passé le cahier. Elle a d'abord refait les dessins, puis elle a pu
commencer à dessiner ce qu'elle avait envie de représenter.
Nous
avions acheté au bazar des cahiers, des crayons, des poupées, des
petits jouets, qui servent de médiation entre les enfants et les
soignants : le jeu facilite l'entrée en contact, permet de rétablir du
lien, de faciliter le retour à la parole. Parmi tout le petit matériel
que nous avons ramené, les enfants ont adoré les petits hélicoptères...
A l'image de ceux qui les ont secouru ?
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Noureen a dix ans. Pour elle, raconte Claire, la psychologue, j'ai
commencé à dessiner. Ensuite je lui ai passé le cahier. Elle a d'abord
refait les dessins, puis elle a commencé à dessiner ce qu'elle avait
envie de représenter
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Noureen nous a confié qu'elle se retenait de manger parce qu'elle ne
voulait pas aller aux toilettes. Elle ne peut pas se déplacer seule,
c'est son frère qui doit la porter. Nous lui avons expliqué que la
nourriture, ce n'est pas seulement un plaisir, mais aussi une
nécessité, pour se reconstruire, pour guérir. Nous lui avons également
dit que nos équipes logistiques allaient aménager des latrines
spécialement équipées pour les personnes qui avaient du mal à se
déplacer seules.
Tout est à l'intérieur
Un garçon de 14 ans a réchappé du tremblement de terre avec une grosse
blessure à la jambe, tandis qu'une grande partie de sa classe est
décédée. Sa blessure est impressionnante, mais ne l'empêchera pas de
remarcher. Pourtant, il est persuadé du contraire. Il a intériorisé la
catastrophe, il a perdu ses facultés de discernement. Notre travail
consiste à entrer en contact avec lui, de lui permettre d'extérioriser
sa peur, et ensuite, après confirmation médicale, de le rassurer en lui
expliquant qu'il va pouvoir remarcher. Il y a eu cet autre cas d'un
gamin qui gisait dans un lit alors qu'il ne souffrait d'aucune blessure
physique. Petit à petit, après des questions très quotidiennes, des
essais de mobilisation, on l'a vu se lever et repartir avec son père :
un signe très encourageant !
Parfois,
la blessure physique protège, en quelque sorte, de la blessure
psychique. Cette jeune femme a perdu un de ses jumeaux de 5 mois dans
le tremblement de terre. Très gravement blessée, elle a dû être amputée
d'un pied. Cette femme fait preuve d'un courage extraordinaire. Elle ne
se plaint pas, elle n'a probablement pas encore réalisé ce qui lui est
arrivé. L'événement est beaucoup trop proche, trop présent, pour être
verbalisé, et le futur n'est pas du tout envisageable.
Des résultats encourageants
On a vu aussi des gens en bonne santé, mais complètement désorientés,
qui ont de la peine à se rendre aux distributions de biens de première
nécessité. Ils ont l'impression que le monde les a lâchés. Hier ils
vivaient relativement bien. Et puis soudain tout a basculé.
Alors
nous, nous sommes là pour une intervention brève, mais empathique,
chaleureuse, soutenante. Et les résultats sont encourageants : des
enfants prostrés, après quelques jours, qui s'éclairent, qui s'ouvrent.
Cette démarche doit s'inscrire dans un ensemble de soins, c'est ce que
nous avons fait là, et ce que nous voulons mettre en place pour
d'autres interventions, avec un kit d'urgence pour les enfants, par
exemple.
Pour finir, je voudrais saluer le courage immense de la
plupart des gens, qui font face à cet événement avec dignité et
solidarité. Très gravement blessés, amputés pour certains, sur un lit,
avec quelques couvertures, dans une précarité immense malgré les
efforts des équipes de secours.
Photos MSF