Des années de recherche pour une recette
Le plus célèbre des RUTF est aujourd'hui le Plumpy'nut©, une
pâte de lait au goût de beurre de cacahuètes, appelée « biskouit » au Darfour
ou « biskit » au Niger. Un biscuit qui a demandé des années de recherche...
Tout l'enjeu était d'inventer un produit thérapeutique prêt à l'emploi. Car en
ce qui concerne le contenu (valeur énergétique, composition des
micronutriments), il n'y a pas grandes différences entre les RUTF et le lait
thérapeutique. Ce dernier se présente sous forme de poudre qu'il faut
reconstituer avec de l'eau potable, le dosage est précis et le lait ne se
conserve que deux heures. Dans les contextes d'intervention de Médecins Sans
Frontières, ces contraintes imposaient d'hospitaliser les enfants pour leur
donner le lait thérapeutique plusieurs fois par jour. Les mères devaient donc
rester avec leur enfant au centre nutritionnel pendant environ un mois, alors
que de nombreuses activités (s'occuper des autres enfants, préparer les repas,
travailler aux champs, ect.) nécessitaient leur présence à domicile. Une forte
proportion d'enfants, jusqu'à plus d'un tiers, quittaient le centre
nutritionnel avant d'avoir atteint le poids fixé. Les limites de cette
stratégie de prise en charge étaient posées dès les années soixante mais il n'y
avait alors pas d'autre option.
Le premier RUTF, produit thérapeutique prêt à l'emploi, fut un biscuit, le
BP100©. Mais les enfants ont du mal à manger ce biscuit et de fait, il faut le
réduire en bouillie dans de l'eau pour qu'ils puissent l'avaler. Les problèmes
de l'accès à l'eau potable et de l'utilisation d'un récipient restaient donc
posés. Pour un produit destiné à des populations dans des contextes notamment
africains se cumulent les contraintes de transport (faible volume, résistant),
de simplicité de préparation (ni cuisson, ni dilution) et d'utilisation
(portion individuelle, prête à l'emploi), de goût et bien évidemment
d'efficacité pour une prise de poids durable (conservation des nutriments).
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Panneau explicatif à destination des mères sur l'utilisation des produits thérapeutiques Niger, 2005 © Venancio Cermeño/MSF
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Du laboratoire à la mise en place d'une nouvelle
approche opérationnelle
La légende veut qu'André Briend,
alors chercheur à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), ait
soudain trouvé l'idée au petit-déjeuner, devant un pot de pâte à tartiner, en
1996. Après deux ans de recherche, la recette était enfin au point. La formule
est simple en apparence : de la pâte d'arachide, de la poudre de lait, des matières
grasses, du sucre et un concentré de vitamines et de minéraux. Le goût sucré et
la texture onctueuse plaisent aux enfants, une condition essentielle sachant
que la malnutrition aiguë entraîne progressivement une diminution voire une
perte de l'appétit. Il faut donner le maximum d'énergie dans un minimum de
volume car les enfants ne peuvent pas manger en grandes quantités. Un sachet de
moins de 100 grammes contient 500 kilocalories, soit déjà une grande proportion
de ce dont l'enfant a besoin pour grossir. Les risques de contamination sont
extrêmement limités puisque l'enfant avale directement la pâte depuis le sachet
et même si l'emballage reste ouvert, la concentration en énergie et nutriments
est telle que les bactéries ne peuvent pas y survivre.
Mis au point en 1998, le produit fut utilisé dans des centres nutritionnels de
Médecins Sans Frontières en 1999. Après les premiers résultats attestant de
l'efficacité du Plumpy'nut© pour la récupération nutritionnelle, la seconde
étape a consisté à vérifier si la prise en charge externe était possible. Une
étude d'Epicentre réalisée entre août 2002 et octobre 2003 a mis en évidence
les conclusions suivantes une forte diminution du taux d'abandon avec la prise
en charge ambulatoire : 28,1% pour les enfants hospitalisés durant tout le
traitement contre 5,6% pour ceux qui consommaient le produit à domicile. La
simplification du suivi médical se traduit par des taux de guérison supérieurs
et permet de prendre en charge beaucoup plus d'enfants.
A partir de 2003 s'est développée cette nouvelle stratégie de prise en charge
de la malnutrition aiguë. Aujourd'hui, seuls les enfants qui ont besoin d'une
surveillance médicale étroite sont hospitalisés. Tous les autres, soit la
grande majorité, suivent le traitement nutritionnel à domicile. En 2005,
l'épidémie de malnutrition aiguë au Niger a mis à l'épreuve cette stratégie :
Médecins Sans Frontières a traité 60000 cas des formes les plus sévères de
malnutrition aiguë en obtenant 91% de guérison, 4% de décès et 5% d'abandons.
La vraie révolution est là : des dizaines de milliers d'enfants peuvent
maintenant être soignés avec un produit thérapeutique simple à utiliser. Des
dizaines de millions d'enfants malnutris ont besoin d'un produit de ce type.
Mais le prix reste un obstacle de taille pour une diffusion à grande échelle,
puisque le coût d'achat du Plumpy'nut pour le traitement d'un enfant revient à
une quinzaine d'euros. Le défi de la recherche médicale a été relevé, la
transformation en efficacité sur le terrain est prouvée, reste à rendre ce
produit plus abordable.