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Quand les blessures des Gazaouis témoignent de leurs conditions de vie
26 février 2018
- mis à jour le 30 mars 2018
Présente en Palestine depuis 1989, MSF répond à l’évolution des besoins en santé des populations de la bande de Gaza depuis 2000. Actuellement, ses équipes offrent des soins post-opératoires (pansements, kinésithérapie, rééducation) à près de 5 000 personnes par an, brûlés et blessés, dans trois cliniques. Les blessures et les témoignages des patients donnent un aperçu de la vie quotidienne à Gaza.
Gaza, c’est tout d’abord l’enfermement. Une bande de terre de 42 kilomètres de long et de 12,5 kilomètres de large au maximum. Elle se traverse du Nord au Sud en 1h30 de voiture.
Cet espace est encadré à l’Ouest par la mer, et à l’Est par une « clôture de sécurité » (comprendre : des clôtures grillagées et barbelées, auxquelles s’ajoutent, au Nord, un mur de plusieurs mètres de hauteur, empêchant quiconque de passer librement, et bientôt un mur supplémentaire, souterrain celui-ci, actuellement en construction). C’est là que vivent presque deux millions de personnes.
Nombreux sont les habitants à ne jamais avoir quitté Gaza, en particulier depuis le verrouillage de la bande par les Israéliens, en 2007, suite à la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes. « Je ne suis sortie qu’une fois de Gaza pour aller me faire opérer en Egypte quand j’avais 8 ans, et je n’en ai aucun souvenir ! », explique Hassan, 22 ans, blessé par balle à la frontière en décembre dernier.
Aujourd’hui encore, les autorisations de sorties sont accordées au compte-gouttes par Israël. Le chiffre a même été divisé presque de moitié entre 2016 et 2017. D’après OCHA, bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, sur les six premiers mois de 2017 seules 240 personnes par jour ont été autorisées à franchir la frontière dans un sens ou dans l’autre que ce soit pour affaires, études, raisons médicales, ou encore parce qu’elles sont membres d’organisations internationales. Pour les autres, le trajet est tout bonnement impossible. « Nous n’avons pas le droit de nous déplacer comme n’importe quel être humain », affirme Hassan.
MSF s’est dotée d’un programme de chirurgie plastique reconstructrice depuis 2010, pour pallier le manque d’accès aux soins des populations, notamment dû à ces restrictions de circulation. Des chirurgiens et des anesthésistes internationaux viennent appuyer notre équipe palestinienne d’infirmiers pour prodiguer des opérations complexes, qui ne sont pas disponibles sur place.
4 à 6 heures d’électricité par jour
La question de l’électricité est celle qui illustre le mieux les difficultés quotidiennes des Gazaouis. Ce problème s’est aggravé au printemps dernier dans le cadre du conflit interne entre l’Autorité palestinienne et le Hamas. Durant plusieurs mois, les Gazaouis se sont vus rationnés à hauteur de 2 à 3 heures d’électricité par tranche de 24 heures. Et ces heures d’accès à l'électricité avaient parfois lieu... la nuit.
À cette époque, plusieurs patients rapportaient aux équipes MSF que leurs épouses se réveillaient en pleine nuit pour cuisiner ou utiliser les machines à laver. « "Ma femme est une héroïne !", m’a dit un jour un patient. » Abu Abed, est référent médical pour le projet de Gaza. Il ajoute que chez lui ses enfants devaient alors « faire des choix que des enfants ne devraient pas faire. Vais-je utiliser ces deux heures d’électricité pour charger mon portable ? Regarder un dessin animé ? Ou mettre un jus de fruit au frigo ? ». Le simple fait de conserver de la nourriture au frais, dans l’été gazaoui, durant lequel les températures dépassent les 30 degrés, s’avérait alors impossible.
Depuis la situation s’est légèrement améliorée, mais les habitants doivent toujours faire vivre leur foyer avec quatre à six heures d’électricité maximum par jour.
« Les heures pendant lesquelles l’électricité fonctionne, nous essayons de tout faire en même temps, cela crée de l’empressement, et augmente les risques pour nos enfants », détaille la grand-mère d’Ussaid, un patient de 14 mois admis suite à des brûlures aux mains.
Dans les cliniques MSF de la zone, 35 % des patients admis sont âgés de moins de 5 ans, et 60 % ont moins de 15 ans.
Des conditions de vie qui se détériorent
Réduits à une cohabitation en vase clos, il leur faut donc s’adapter à cette vie, et à ce qu’elle peut leur offrir.
Or, depuis des années, les conditions de vie se détériorent lentement à Gaza. De l’extérieur, la quasi-totalité des bâtiments détruits durant l’offensive de 2014, a été reconstruit, principalement grâce à l’aide internationale. Mais derrière les portes, c’est près de la moitié de la population qui vit en situation d’insécurité alimentaire. Chacun se débrouille à sa manière et la solidarité familiale est devenue l’un des piliers de l’adaptation et de la résistance des Gazaouis.
« Quand je n’ai pas assez d’argent pour acheter à manger, je demande autour de moi. Parfois ma belle-mère me prête 15 shekels. Cela me fait honte. Mais elle dit que nous sommes une famille, que je suis comme son fils, et que nous devons nous épauler. », détaille Abdel Raheem, un patient de 30 ans admis à la clinique MSF de Gaza.
L’accès à l’eau potable est un problème majeur pour les habitants de Gaza : plus de 95 % de la nappe phréatique souterraine est impropre à la consommation, et l’eau qui sort des robinets est trop salée. Le système privé de production d’eau ne permet de remédier à cela que de manière très imparfaite.
En outre, l’ensemble du système d’évacuation et de traitement des eaux usées est peu efficace. Elles se déversent dans la mer, et les Gazaouis ne peuvent plus s’y baigner. La mer, qui pourrait être une source de revenus pour les habitants de la bande de Gaza, est elle aussi un espace de contraintes, à cause du niveau de pollution et des limitations des zones de pêches imposées par les Israéliens.
Des accidents domestiques fréquents
Dans ce contexte, la vie suit pourtant son cours. Des familles nombreuses vivent dans des habitations modestes, et les repas sont l’occasion de moments de convivialité. À Gaza, certaines personnes cuisinent et préparent encore le thé sur des réchauds, ou sur des feux à même le sol. De nombreux patients sévèrement brûlés sont référés vers les cliniques MSF suite à des accidents domestiques, liés à ces pratiques. Les deux tiers d’entre eux impliquent des brûlures dues à des liquides bouillants.
C’est le cas de Shaheb, 15 mois. La théière posée sur le feu s’est entièrement renversée sur elle, lors d’une réunion familiale il y a quelques mois. « C’est tellement douloureux de voir notre fille comme ça que nous n’avons pas refait de thé à la maison depuis ce jour », déclare sa mère. Dans le cas d’Asma, 6 ans et demi, c’est une marmite d’eau bouillante, que son père voulait utiliser pour sa toilette, qui s’est renversée sur elle.
Les brûlures liées aux explosions de générateurs électriques, utilisés par certains pour pallier le manque d’électricité sur le réseau public, sont également courantes. Tout comme les brûlures par contact direct avec un feu.
64,9 % de chômeurs parmi les jeunes
À Gaza, les restrictions imposées par Israël en termes de mouvements des biens et des personnes limitent les capacités économiques sur le territoire. Des matériaux de construction sont bloqués à la frontière par exemple, idem pour certains équipements médicaux suspectés de pouvoir faire l’objet d’un usage détourné. D’après l’OCHA, pour le troisième trimestre de 2017, le taux de chômage sur l’ensemble de la population était de 46,6 %, et ce chiffre atteignait 64,9 % parmi les jeunes.
« Nous sommes éduqués, nous ne sommes pas ignorants. Nous accumulons les diplômes et nous retrouvons malgré tout sans emploi. Nous ne pouvons pas avoir de vie respectable si nous ne travaillons pas » explique Hassan, 22 ans, étudiant de 4e année en comptabilité.
Abdel Raheem, 30 ans, été blessé par balle à la jambe et à la main alors qu’il manifestait à la frontière, suite à l’annonce du président américain reconnaissant Jérusalem comme la capitale d’Israël, en décembre dernier. Il est à présent immobilisé et se rend trois fois par semaine à la clinique de Médecins Sans Frontières sur un brancard.
Avant cela il travaillait dans la construction : « Un mois tu as du travail, et pendant trois mois tu n’en n’a plus. Les mois ou je n’avais pas de travail je devais aller au marché du cuivre, j’achetais une pièce 20 shekels et j’espérais pouvoir la revendre 25. Mais une bouteille de gaz pour la cuisine coûte 60 à 70 shekels à elle-seule », indique-t-il.
« Tout ce que tu gagnes, tu finis par le perdre »
Après les affrontements entre partisans du Hamas et du Fatah en 2007, trois offensives israéliennes en 2008-2009, 2012 et 2014, et après plus de 10 ans de blocus, la population peine à trouver ses repères et les adolescents ont du mal à croire en un avenir dans la bande de Gaza.
Beaucoup vivent de petits boulots, entrecoupés de périodes d’inactivité. « J’ai travaillé en tant que pêcheur, comme peintre, j’ai travaillé dans la construction et dans des restaurants. Je ne travaille plus depuis ma blessure. J’ai sept métiers mais zéro chance. », estime Mohamed M., 22 ans, blessé par balle à la frontière israélienne où il était parti manifester un jour de juin 2017, drapeau palestinien à la main. Faris a le même âge et il a connu le même sort que Mohamed à quelques semaines de différence. À la clinique de MSF où ils se sont rencontrés, ils sont devenus inséparables. Il renchérit, « Ici, tout ce que tu gagnes, tu finis par le perdre. »
Ce constat est largement partagé par les jeunes hommes, souvent autour de la vingtaine, qui partent fréquemment manifester leur colère et leur sentiment d’injustice à la frontière israélienne, au risque de leur vie ou de blessures sérieuses. Depuis décembre 2017, de nombreux jeunes ont ainsi participé aux manifestations contre la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par le président américain Donald Trump, à l’appel des différentes autorités de Gaza. Et Médecins Sans Frontières a constaté une augmentation du nombre de blessés admis dans ses cliniques de Gaza, passant de 19 en novembre à 162 le mois suivant, et presque 200 en janvier. Ces blessures sont essentiellement des blessures par balles, au niveau des membres inférieurs.
Les jeunes ont grandi entourés de violence comme nous le raconte Mohammed H. : « Lorsque j’ai vu ma jambe, entièrement ouverte suite à l’impact de la balle explosive, je ne me suis même pas évanoui. Nous avons l’habitude ici. Il y a eu les guerres, et nous avons vu nos amis blessés ».
Le sentiment de ne rien avoir à perdre est omniprésent. « Nous devons rappeler que nous existons. Qui d’autre le fera pour nous ? » s’interroge Abdel Raheem. « C’est notre seule façon de montrer ce que nous ressentons, ce que Gaza ressent. Que pouvons-nous faire d’autre ? » ajoute Mustafa.
Inutile de leur parler de réconciliation entre le Hamas et l’Autorité palestinienne, de leaders politiques ou de communauté internationale : « Chacun sert ses seuls intérêts personnels », affirme Hassan. À la question « Avez-vous de l’espoir pour Gaza ? », il répond simplement, comme beaucoup d’autres : « Inch’allah. »