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Cela fait plus d'un an qu'une psychologue MSF est intégrée aux équipes travaillant au Nord Kivu. Quel est le sens de cette présence dans cette région de l'est de la RDC, déchirée par un conflit armé ?
Nous cherchons à dispenser un soin complet là où nous intervenons, à l'hôpital de Rutshuru et dans celui de Nyanzalé. Les équipes MSF soignent les pathologies ou blessures physiques, comme les blessures par balle. Mais au-delà du corps, nous offrons une prise en charge psychologique pour les blessures qui ne sont pas visibles. Mon rôle de psychologue est de prendre en compte ce qui n'est pas toujours visible mais a pourtant été abîmé. Un évènement, une agression par exemple, n'est pas forcément traumatique ; il ne l'est que par la façon dont il a été vécu et vient s'inscrire dans l'histoire de chacun. A partir d'un état de souffrance, il s'agit de comprendre, avec le patient, ce qui a été touché en lui. Mon rôle consiste à offrir un espace pour que les gens puissent s'exprimer, décoller de la réalité pour accéder au niveau imaginaire, symbolique. Et finalement à aider les personnes à identifier leurs ressources.
Consulter un(e) psychologue n'est pas une pratique courante au Kivu. Comment les patients arrivent-ils jusqu'à vous ?
Je vois des patients qui me sont signalés par les soignants à l'hôpital. Ils repèrent quelqu'un qui est triste, qui s'isole, ne parle pas aux autres ou stagne au niveau des soins. Ils remarquent aussi les troubles du comportement, si des patients sont agités. De mon côté, quand c'est possible, je fais la visite avec les médecins et vois si quelqu'un a besoin d'un soutien psychologique.
Cela peut être des victimes de violences, qui ont été blessées par balle ou à l'arme blanche, qui ont été violées ou dont la maison a été incendiée. Je peux aussi être sollicitée quand une femme accouche d'un enfant mort-né ou pour aider un médecin à annoncer un diagnostic qui ne laisse aucun espoir. La demande d'un accompagnement peut également être faite pour des patients qui doivent rester longtemps hospitalisés alors qu'ils voudraient repartir chez eux, parce qu'ils y ont laissé d'autres enfants, ou parce que rater la période de semis peut avoir des conséquences dramatiques pour la famille...
De même, nous accompagnons les gens en soins intensifs ou leurs proches. Dans ces cas-là, on commence souvent d'ailleurs par les proches pour soutenir celui qui est le mieux à même de soutenir le patient. Car si la mère d'une patiente brûlée à 45% est en larmes toute la journée, elle ne pourra pas aider sa fille.
Quelles sont ces blessures de l'âme que vous soignez ?
Rien que de très universel, de la peur de la mort à la peur de ne pouvoir élever ses enfants, de la difficulté à trouver sa place dans la famille ou la société, mais ces questions se déclinent de façon particulière dans ce contexte de conflit armé qui dure, où les liens familiaux et communautaires sont parfois très attaqués, où les institutions d'Etat sont défaillantes pour réguler les rapports sociaux. C'est un contexte où le sentiment de sécurité, tant dans la réalité externe que dans les représentations que chacun peut en avoir, est souvent très fragilisé.
Pour les femmes, toute la question tourne souvent autour des enfants. Une femme peut craindre d'avoir d'autres enfants parce qu'elle a eu une rupture utérine et cru qu'elle allait mourir. Une autre femme, après neuf grossesses, n'a pas un seul enfant vivant. Elle s'interroge sur sa capacité à « donner » des enfants, c'est aussi sa place dans la belle-famille qui est en jeu. Et comment retourner aux champs quand on y a été agressée, mais qu'il faut bien nourrir ses enfants ? Par ailleurs, les accompagnants de malades sont surtout des femmes. Et ce sont encore les femmes qui se brûlent quand elles font une crise d'épilepsie. Elles cuisinent et tombent sur le brasero ou la marmite posée sur le feu. En fait, dans 80% des cas, nous travaillons avec des femmes.
S'agissant des hommes, ce sont surtout des problématiques de violences. Un homme se demande s'il va récupérer son intégrité physique, si avec un fixateur externe sur sa jambe, il va pouvoir remarcher et soutenir sa famille. Et nous voyons assez peu d'enfants. Ce sont plutôt des enfants qui sont hospitalisés en orthopédie ou des enfants de 7-8 ans qui souffrent de malnutrition. Car derrière cette pathologie il peut y avoir une autre problématique, comme une dépression.
On entend parfois dire que les populations de cette région ont une capacité d'endurance étonnante. Qu'en pensez-vous ?
J'ai constaté pour ma part que le poids de la religion est très fort et que la religion peut faire un peu barrage au travail de pensée. Je m'explique. Un malade qui a été victime de violence peut penser « C'est Dieu qui m'a puni ». Or il ne peut pas se mettre en colère contre Dieu. « Si je me fâche contre Dieu, pense-t-il, Il risque de me punir encore plus. » La conclusion, pour lui, est que tout ce qu'il peut faire, c'est guérir, espérer ne plus être agressé et prier.
MSF prend en charge un très grand nombre de victimes de violence sexuelle. Que faites-vous pour elles ?
Ce sont des infirmières consultantes MSF qui les reçoivent. Au-delà de la prise en charge médicale, elles font un travail particulier d'accueil et d'écoute. Mais si elles voient qu'une femme a besoin d'un soutien psychologique, elles me préviennent et je les reçois en consultation. J'ai ainsi accompagné une très jeune fille enceinte à la suite d'un viol. Nous avons travaillé avec elle sur les représentations de cet enfant à venir. Au début, elle parlait d'un monstre qui allait mourir à la naissance. Puis les représentations ont changé, elle s'est mise à rêver de bébé. Et à la fin de la grossesse, elle a dit « je l'ai hébergé pendant neuf mois, c'est mon enfant ». Accueillir tout ce que les femmes ont à dire, les autoriser à dire des choses peut-être pas acceptables, comme « Je ne veux pas de cet enfant », cela fait partie de mon travail.