Comment s'explique la recrudescence des combats au Nord Kivu?
Le gouvernement congolais et plusieurs groupes rebelles avaient signé un accord de paix en janvier 2008. Cet accord jetait les bases du règlement de différentes questions :
- Le départ du territoire congolais des rebelles du FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) composé de réfugiés rwandais Hutus et de génocidaires de 1994.
- Le retour des réfugiés congolais Tutsis qui sont installés au Rwanda, au Burundi et en Ouganda.
- Et le désarmement des troupes du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple), la principale formation rebelle dirigée par Laurent Nkunda ainsi que des autres mouvements rebelles, et leur intégration dans l'armée régulière.
Cet accord n'a été que très partiellement appliqué, ce qui a exacerbé les tensions. Et les affrontements entre l'armée congolaise et les forces rebelles qui étaient sporadiques ont fait place, fin août, à un conflit de forte intensité. Au fil des semaines, les troupes du CNDP ont progressé sur plusieurs fronts. Malgré la présence de la Monuc, la force de maintien de la paix des Nations Unies au Congo, elles sont arrivées jusqu'aux portes de Goma, la capitale régionale.
Le CNDP a proclamé un cessez-le-feu unilatéral, le 29 octobre. Mais il n'a pas tenu longtemps. Des combats ont éclaté quelques jours plus tard à Rutshuru (70km au nord de Goma), Ngungu (à l'est de Goma) et à Nyanzale et Kikuku plus au nord.
Que cela signifie-t-il pour les populations ?
Il y a d'abord des personnes prises sous le feu des combats qui sont victimes de tirs et d'explosion d'obus. Car depuis fin août, l'usage d'armes lourdes s'est systématisé. Résultat, à l'hôpital de Rutshuru, nous recevons au bloc opératoire des patients victimes de blessures beaucoup plus graves qui peuvent nécessiter des amputations.
Sinon, les combats provoquent une fuite permanente. Des dizaines de milliers de personnes sont jetées sur les routes. Les gens se cachent dans la forêt, ils se réfugient dans des églises, des écoles ou sont accueillis dans les habitations d'autres personnes. Des familles sont séparées quand elles prennent la fuite dans la panique. Et quand les combats se déplacent, les gens continuent de fuir.
Cela signifie concrètement que les populations n'ont plus accès à leurs champs pour assurer leur subsistance. Elles n'ont plus d'abri alors que nous sommes en pleine saison des pluies et que ces collines sont en altitude où il fait froid la nuit.
Les gens se retrouvent donc exposés au paludisme, à la rougeole, aux infections respiratoires et à de mauvaises conditions d'hygiène qui favorisent la propagation du choléra endémique dans certaines zones de la région. Certains veulent malgré tout retourner sur leur lieu d'habitation pour trouver un abri et aller de nouveau à leurs champs, alors ils continuent de marcher sur les routes.
Le problème est l'accès aux soins. Trop souvent, les malades arrivent tard dans nos structures de santé, même si on va nous-mêmes à leur rencontre dès que la situation sécuritaire le permet. Et comme ils arrivent tard, une maladie bénigne devient grave. De même, une femme qui a une grossesse à risque peut faire une rupture utérine, au moment de l'accouchement.
Comment MSF répond à cette urgence ?
MSF est présente au Nord Kivu depuis 2002. Nous gérons l'hôpital de Rutshuru, à 70 km au nord de Goma. Le personnel MSF dans cet hôpital compte 7 expatriés et 210 Congolais.
Quand la ville a été prise par les rebelles du CNDP et quand des combats ont de nouveau éclaté à Kiwanja, juste à côté, nous sommes restés. Et sommes toujours la seule ONG internationale à intervenir à Rutshuru. Des milliers de personnes ayant afflué dans cette ville, nous avons apporté un soutien à trois centres de santé pour que ces personnes déplacées puissent voir des médecins.
Une autre équipe se trouve à Butembo où elle évalue les besoins des populations déplacées.
Enfin à Kibati (15km de Goma), où se trouvent de grands camps de déplacés à proximité de la ligne de front, nous avons envoyé des équipes mobiles pour dispenser des soins médicaux et assurer un approvisionnement en eau avec des camions-citerne. Nous continuerons jusqu'à ce que les autres ONG qui sont concentrées à Goma prennent le relais.
Le conflit menace-t-il de s'étendre à la région des Grands Lacs ?
Le conflit au Kivu a des enjeux locaux, politiques et économiques. A l'heure actuelle, il n'y a pas d'éléments susceptibles d'étayer cette thèse de la régionalisation du conflit.
En revanche, le souvenir de la deuxième guerre qui avait déchiré le Congo de 1998 à fin 2002 est toujours présent. Cette guerre avait mis aux prises six armées étrangères sur le sol congolais (Rwanda, Ouganda, Burundi qui s'opposaient aux forces gouvernementales, lesquelles étaient soutenues par l'Angola, le Zimbabwe et la Namibi). Et la peur est restée.
Au Nord Kivu, les équipes MSF travaillent actuellement à Rutshuru, Nyanzale, Kayna, Kanyabayonga, Kirotshe, Kitchanga, Mweso, Masisi et dans les environs de ces localités. Dans les zones les plus touchées par l'insécurité, MSF est souvent la seule organisation humanitaire internationale à encore apporter une aide humanitaire.