Depuis le début de son intervention dans le Nord Kivu, MSF
y a nettement développé ses activités. De quelle manière?
Nous renforçons nos équipes à Rutshuru et Nyanzale pour déployer un plus grand domaine d’interventions médicales dans des zones
géographiques plus étendues. L’hôpital de Rutshuru, par exemple, qui comptait
115 lits à notre arrivée en 2005, en compte aujourd’hui plus de 200. Nous y
assurons toujours les services de pédiatrie, médecine interne, chirurgie et les
urgences. Nous avons aussi créé une banque de sang.
En 2007, nous avons commencé à travailler à la
maternité. Nous partageons la charge de ce service avec les autorités
sanitaires pour nous occuper uniquement des césariennes et des soins
post-opératoires. Devant le nombre élevé de femmes qui doivent subir une
césarienne, nous avons dû mettre en place un second bloc opératoire en 2007.
La chirurgie représente une activité importante et la quasi totalité des interventions chirurgicales sont des urgences. En 2005, nous procédions à deux
interventions par jour alors qu’en 2008 nous atteignons une moyenne quotidienne
de 12.
Quant à nos activités périphériques, nous rayonnons depuis
Rutshuru sur différents axes, en fonction de l’afflux des populations
déplacées. Nous nous rapprochons au maximum des zones enclavées pour atteindre
les populations exposées à l’insécurité.
Des équipes mobiles donnent des consultations dans des
centres de santé, sur deux ou trois mois, se trouvant au nord et au sud de Rutshuru ainsi qu’au nord. Ces interventions, modulables et flexibles, nous permettent de
réagir aux mouvements des populations qui fuient les combats ou aux pics
saisonniers de paludisme et même aux épidémies.
Qu’en est-il à Nyanzale, ville située dans une zone
de déplacements de populations?
A Nyanzale, nous avons stabilisé et développé notre
programme, en y investissant plus de moyens humains. Nous traitons la
malnutrition dans un centre nutritionnel thérapeutique. Nous y donnons des consultations
pour les enfants de moins de cinq ans et soignons le paludisme, toujours
présent malgré l’altitude du site.
L’équipe rayonne dans une zone plutôt vaste jusqu’à Katsiru
et Bambu. Et lorsque les patients doivent subir une intervention chirurgicale,
nous les référons à un hôpital des environs. L’autre volet
important de notre activité est la prise en charge des victimes de violences
sexuelles. En janvier dernier, nous avons soigné 300 femmes victimes de viol.
Comment organisez-vous la prise en charge de ces
victimes?
Nous regroupons les consultations sur nos deux centres de
santé de Nyanzale et Rutshuru. Là encore, nous intervenons dans les zones
environnantes grâce à un système d’ambulances. MSF finance le transport des
victimes de viol, ce qui leur permet de venir rapidement consulter. Il est en
effet impératif pour les victimes d’être prises en charge dans un délai de 72
heures après l’agression, pour que le traitement prophylactique du sida soit
efficace. Les populations sont bien informées : un réseau de femmes les
sensibilisent sur le sujet et des messages, diffusés à la radio, insistent sur la nécessité de la prise en charge médicale dans les 72
heures.
La situation sécuritaire ne s’est-elle pas améliorée après
l’accord de cessez-le-feu du 21 janvier dernier?
La situation ne s’est pas normalisée, l’accord de
cessez-le-feu n’est que partiellement appliqué car des groupes armés restent
actifs dans la province. Certains groupes rebelles continuent de combattre pour
des revendications politiques ou pour préserver un territoire générateur de
revenus. Des groupes armés s’en prennent aux populations civiles en volant
leurs ressources et leur nourriture.
Pour les populations, il n’y a
aucune amélioration. Elles continuent de fuir les violences. Souvent, les
personnes déplacées ne s’éloignent pas trop de leur zone de résidence car elles
gardent l’espoir de pouvoir revenir chez elles. Elles peuvent se trouver à deux
heures de marche de chez elles, mais se faire attaquer sur les routes ou dans
les champs. Souvent, les victimes de viols sont agressées en se rendant aux
champs ou lorsqu’elles y travaillent.
Sur le plan médical, quelles sont les pathologies que MSF
est amenée à soigner?
Nous soignons des cas de paludisme de manière cyclique, en
fonction des pics d’épidémie, deux à trois fois par an. Au service pédiatrique
de l’hôpital de Rutshuru, nous traitons un très grand nombre d’enfants
souffrant du paludisme et d’anémies sévères. Mais nous travaillons aussi en
amont, par un soutien direct aux centres de santé des zones les plus exposées
au paludisme pour qu’ils puissent traiter gratuitement la population et éviter
que les patients arrivent dans un état déplorable à l’hôpital.
Vous avez également dû faire face à des épidémies?
Fin 2007, nous avons été confrontés à une épidémie de
choléra, inhabituelle par son ampleur. Nous avons enregistré plus de 2000 cas
en un mois et demi. Ceci s’explique par les conditions de vie précaires des
populations déplacées. Elles se concentrent dans des villages qui grossissent
et deviennent des villes sans bénéficier des infrastructures nécessaires. Face
à cela, MSF a mis en place un centre de traitement du choléra dans l’hôpital de
Rutshuru et des unités de traitement à la périphérie. D’autres organisations
ont travaillé sur l’amélioration de l’accès à l’eau, car l’eau est le vecteur
de transmission du vibrion cholérique. Le nombre de cas a nettement baissé
depuis janvier, mais on observe un regain avec 4 à 20 cas par jour. Nous
reprenons donc le travail de sensibilisation.
En outre, depuis début janvier, des cas de rougeole ont été
détectés. Le déplacement continuel des populations accroît le risque de
propagation de cette maladie contagieuse et mortelle, principalement pour les
enfants. Nous allons lancer une campagne de vaccination dans la zone de Nyanzale,
puis de Rutshuru où des cas de rougeole ont également été détectés.