Maryvonne est psychiatre dans le sud de la France. Tous les ans depuis
2001 elle se rend disponible, pendant plusieurs mois, afin de partir
sur nos programmes "santé mentale" dans les Territoires Palestiniens.
C'est ainsi que, fin janvier 2005, elle est repartie pour Gaza où elle avait déjà effectué une mission en juin 2004.
Elle nous écrit régulièrement, pour nous parler de la situation
générale du pays, de son quotidien ainsi que de celui des populations
palestiniennes, des patients retrouvés et des nouveaux cas qu'elle
prend en charge...
Depuis novembre 2000, suite au
déclenchement de la seconde Intifada, des équipes MSF apportent un
soutien médical et psychologique aux populations palestiniennes en
Cisjordanie et dans la Bande de Gaza. L'objectif du programme est de
répondre aux conséquences traumatiques du conflit israélo-palestinien
sur les familles palestiniennes vivant dans les zones les plus exposées
de Naplouse, Hébron et de la Bande de Gaza.
Nos patients sont des hommes
et des femmes de tous âges, souffrant de traumas aigus et du manque
d'assistance médicale. Les diagnostics les plus fréquents sont
dépression, anxiété, syndromes post-traumatiques, troubles aigus liés
au stress et troubles psychosomatiques.
Notre action consiste
à prévenir et à réduire les effets psychologiques (stress, peur,
angoisse) sur la population (enfants, adolescents et adultes) la plus
gravement affectée par la violence. Via des visites à domicile, nos
équipes identifient les personnes les plus vulnérables et leur
proposent un "traitement" adapté. Notre modèle de référence repose sur
une thérapie brève (individuelle, familiale ou de groupe) lors de
consultations réalisées, si possible à domicile et dès que l'événement
à l'origine du traumatisme se produit.
» Back to Gaza - Février 2005
Difficile de ne pas être lassée et de ne pas vous lasser par la
rituelle évocation de ce conflit qui s'éternise, traversé, comme
actuellement, de quelques lueurs adressées officiellement, mais qui
n'éclairent guère encore le terrain. Lassée de dire les deuils, les
enfants perdus, tués. Lassée de dire la pauvreté qui touche aussi
désormais la classe moyenne ; les pauvres si pauvres, ceux qui n'ont
plus pour se loger qu'un peu de tôle ondulée recouverte de bâches
plastiques ou au mieux quelques parpaings.
L'ambiance
générale est pourtant plus apaisée. Dans le ciel, moins d'hélicoptères,
de drones (avions espions) et, depuis mon arrivée, aucun missile sur
Gaza. Pourtant, chaque jour égrène un chiffre modeste : un ou deux
morts, 22 depuis 15 jours et plus de 60 blessés, lors d'échanges de
roquettes palestiniennes et de tirs de mortiers israéliens ou de
snipers (tireurs embusqués). Riposte ou provocation des uns et des
autres, des autres et des uns...
Ce "presque calme", ce souffle de
"presque paix" est vécu ici comme l'est parfois un silence soudain :
les gens attendent de savoir comment cela va se rompre, inquiets et
prêts à tout, espérant le mieux, redoutant le pire...
Les quartiers de la ville de Rafah [ville au sud de la bande de Gaza, à
la frontière avec l'Egypte], entièrement démolis, sont devenus de
grandes décharges. Les bulldozers israéliens recouvrent les immeubles
détruits, comme dans l'idée de ne pas laisser de trace. Gaza se remet
peu à peu de la dernière incursion sur la ville de Beit Layia et du
grand nombre de morts et de blessés qui s'en est suivi. Un médecin
raconte l'effroi de ramasser les corps déchiquetés. Un missile a tué
quatre enfants âgés de 3 à 16 ans, tous de la même famille...
Tamer,
un des jeunes garçons, ne se pardonne pas d'avoir pu échapper aux tirs
qui ont blessé ses amis. La honte obscurcit ses nuits sans sommeil. Ce
n'est pas de la culpabilité, mais la honte de s'être exclu... Nouzna,
elle, pense qu'elle est responsable "des événements" et, depuis, elle
dit ne plus appartenir au monde des vivants, elle dit qu'elle est morte
et que rien ne l'autorisera jamais à retrouver le sentiment de vie. Ce
sont quelques-uns des discours que j'entends tous les jours.
Une fin plus joyeuse avec Shams (ça veut dire "soleil"), cette petite
fille de quatre ans dont je vous ai beaucoup parlé l'an dernier. Elle
ne marchait ni ne parlait plus depuis plus d'un an. Je l'ai revue et,
conformément à son prénom, elle est lumineuse !
Libre à vous tous de lire, ou non, ces quelques lignes éternisant la répétition, à l'aune de ce qui empoisonne la vie ici.
De toute façons, toute mon amitié.
Maryvonne