Retour à Gaza 2

Maryvonne est psychiatre dans le sud de la France. Tous les ans depuis
2001 elle se rend disponible, pendant plusieurs mois, afin de partir
sur nos programmes "santé mentale" dans les Territoires Palestiniens.
C'est ainsi que, fin janvier 2005, elle est repartie pour Gaza où elle avait déjà effectué une mission en juin 2004.
Elle nous écrit régulièrement, pour nous parler de la situation
générale du pays, de son quotidien ainsi que de celui des populations
palestiniennes, des patients retrouvés et des nouveaux cas qu'elle
prend en charge...

Maryvonne est psychiatre dans le sud de la France. Tous les ans depuis 2001 elle se rend disponible, pendant plusieurs mois, afin de partir sur nos programmes "santé mentale" dans les Territoires Palestiniens. C'est ainsi que, fin janvier 2005, elle est repartie pour Gaza où elle avait déjà effectué une mission en juin 2004. Elle nous écrit régulièrement, pour nous parler de la situation générale du pays, de son quotidien ainsi que de celui des populations palestiniennes, des patients retrouvés et des nouveaux cas qu'elle prend en charge...

» Back to Gaza - 24 février 2005
Le calme s'étend sur Gaza. Un calme qui apaise un peu, un calme si inaccoutumé qu'il est, je vous le disais, ressenti de façon étrange et vécu avec vigilance. Mais, par la nouvelle respiration qu'il autorise, il permet un instant de voir, de mieux comprendre l'ampleur des délabrements et de souligner la profondeur de ce qui est meurtri ... Les blessures, les déchirures sont dans chaque famille, la misère et le chômage partout, l'économie réduite à presque zéro...

Le calme est là depuis quelques semaines, mais l'occupation aussi est encore et toujours là. A l'entrée de Mawassi (une enclave parmi d'autres, jouxtant une colonie) des dizaines d'hommes et de femmes attendent assis par terre, des jours et des jours, l'autorisation pour pouvoir rentrer chez eux...

Il y a juste un mois et demi, Mounia*, Malika, Lilia, Mohamed et Dabia, frères, soeurs et belles-soeurs ont vu leurs sept fils pulvérisés, leurs corps déchiquetés par des obus tirés par les tanks voisins... Au sortir de l'école, ils ramassaient les fraises du grand champ exploité par toute la famille (Gedeon Levy, relatant l'événement dans le journal israélien Haaretz, a intitulé son article : "les fraises de la colère").

Un arbre borde le champ... Dabia et Lilia le fixent d'un regard impossible à décrire : sur les branches étaient accrochés des bouts de corps... L'horreur du réel et la réalité étaient comme confondues dans leur regard. Tenter de les arracher à cette fascination morbide de l'horreur, c'est sans doute leur permettre de dire, de décrire, l'insupportable à dire et à entendre. Le travail de deuil (dont les magazines nous rabattent maintenant les oreilles à propos de tout et de n'importe quoi), ne se fera, s'il peut se faire, que bien après. Malika l'a compris, elle tente de toutes ses forces d'évoquer son fils, Medhi, quand il prenait son cartable. Elle s'acharne à retrouver ces gestes familier, ces signes de vie, elle aussi a pourtant vu l'horreur et lutte pour en chasser les images.

Ahmed vit depuis un an sur le toit de sa maison. Il a été grièvement blessé par une balle qui l'a transpercé pour ensuite aller tuer son ami à côté. Il me dit à son propos : "c'était une belle amitié qui commençait entre nous." Il se réfugie sur le toit pour préserver sa famille de ses crises de violence qui l'agitent et le débordent depuis, le faisant hurler la nuit et se battre contre des fantômes.

L'espoir est là aussi, parfois comme un cadeau, cette semaine il nous a été donné par Kamel que vous connaissez depuis l'an dernier. Kamel, 15 ans, que le somnambulisme de ses nuits conduisait devant les tanks, le mettant en grand danger, va bien, bientôt très bien... Il me parle de ce qu'il souhaiterait lire maintenant : "Les 7 poèmes suspendus". Il s'agit de poèmes écrits avant l'époque islamique, par les sept meilleurs poètes de l'époque. Ils ont été écrits à la poudre d'or, sur un cuir spécial et placés dans la Kaba (lieu de pèlerinage, avant l'ère de la Mecque). Chaque poème, outre l'esthétique, devait traiter de tous les aspects de la vie. Les exégètes (interprètes) actuels étudient scrupuleusement ces textes parait-il superbes, écrits en arabe littéraire très ancien. Ce souhait de Jihad, dans ce contexte, est comme une lumière, une précieuse opportunité pour chasser de son esprit les fantômes de la terreur qui le sidéraient la journée et le transformaient en sauvage la nuit.

Et puis Yacine a rempli sa maison d'oiseaux. Leurs chants couvrent les bruits des tirs qui, malgré le calme affiché, se font tout de même encore un peu entendre...

* Pour des raisons de confidentialité, les prénoms ont été modifiés.

Notes

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