Retour à Gaza 3

Maryvonne est psychiatre dans le sud de la France. Tous les ans depuis
2001 elle se rend disponible, pendant plusieurs mois, afin de partir
sur nos programmes "santé mentale" dans les Territoires Palestiniens.
C'est ainsi que, fin janvier 2005, elle est repartie pour Gaza où elle avait déjà effectué une mission en juin 2004.
Elle nous écrit régulièrement, pour nous parler de la situation
générale du pays, de son quotidien ainsi que de celui des populations
palestiniennes, des patients retrouvés et des nouveaux cas qu'elle
prend en charge...

Maryvonne est psychiatre dans le sud de la France. Tous les ans depuis 2001 elle se rend disponible, pendant plusieurs mois, afin de partir sur nos programmes "santé mentale" dans les Territoires Palestiniens. C'est ainsi que, fin janvier 2005, elle est repartie pour Gaza où elle avait déjà effectué une mission en juin 2004. Elle nous écrit régulièrement, pour nous parler de la situation générale du pays, de son quotidien ainsi que de celui des populations palestiniennes, des patients retrouvés et des nouveaux cas qu'elle prend en charge...

» Retour À Gaza - 4 mars 2005
Le calme se maintient. Presque... Le soleil aussi est là. On pourrait, au risque de tomber dans le très ordinaire, parler des lauriers roses, des amandiers et des bougainvillées en fleurs. Et pourtant...

C'est dans ce temps que naît au jour et que s'aperçoit l'étendue des chaos intimes ; chaos que tous ces temps d'urgence, de "sauve-qui-peut" mettaient en coulisses. Le maintien de la (sur)vie elle-même occupait alors le devant de la scène. Les hélicoptères et les tanks toujours présents et les drones (avions espions miniatures sans pilote) sont là pour le rappeler.

Alors, parce qu'on a un peu de temps à soi, vient au jour en effet le démantèlement profond, les cassures. Le corps est souvent blessé, l'esprit confus, comme dans un "no man's land"...

La maison d'Abdelkader*- un père âgé de 37 ans -a été "occupée" par les soldats israéliens lors d'une incursion, pendant 10 jours. C'est de ses fenêtres que les soldats tiraient - et parfois tuaient - des proches, des voisins. Il me dit aujourd'hui : "ça a ouvert les portes de mes propres labyrinthes. Je ne sais plus qui je suis, ce que je vaux, ce que je peux encore vouloir, je m'échappe à moi-même".

Le reste du chaos c'est ce démantèlement de soi, ce délitement de la pensée qui vous maintient dans le brouillard, en dépit du soleil qui tente pourtant de se montrer. Le soleil qui ne porte qu'une ombre bien légère sur les pauvres masures en tôles qui ont, pour certains, remplacé leurs maisons détruites et dissimulent mal les quelques sacs de farine distribués par l'UNRWA**, sacs qui ne suffiront pas à donner du pain pour tous...

Mahmoud habite Mawassi, cette enclave cible en première ligne car jouxtant la plus importante colonie de Gaza. Il est pratiquement impossible, depuis 4 ans, de sortir de Mawassi. La ville voisine, Khan Younis, est à moins de 300 mètres, mais le check-point entre les deux localités est quasi imperméable...

Mahmoud a 25 ans, je l'écoute, il fait très bien passer son incapacité à penser et qui le sidère depuis ces années : "je ne peux plus rien élaborer... Je peux juste dire mon impossibilité à trouver un souffle qui pourrait soulager cet étouffement omniprésent."

Ma promesse implicite est de ne jamais laisser peser le désespoir dans mes chroniques, car ce ne serait pas le juste reflet de la vie d'ici ; de la vie malgré tout ; la vie dans les rues qui fourmillent de gamins à la gaieté non-simulée ; l'investissement à l'école, à l'université ; la culture : la seule arme qui reste ; ce goût de la poésie qui rend le "parler" quotidien parfois si justement métaphorique.

Et puis les femmes, les mères palestiniennes qui accomplissent des miracles, accompagnent leurs enfants, maintiennent ce qui fait que la joie n'est pas absente...

Mon amitié à chacun.

* Pour des raisons de confidentialité, les prénoms ont été modifiés
** Organisme des Nations Unies en charge des réfugiés palestiniens

Notes

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