Quel peut être le rôle d'un chirurgien plasticien pour des blessés ?
La chirurgie plastique est une spécialité chirurgicale bien définie. Le terme "chirurgie plastique" englobe l'aspect reconstructeur, le pôle purement plastique et la dimension esthétique. En termes simples, la chirurgie plastique consiste à réparer un trou causé par la perte de peau ou de muscle, par l'utilisation de tissus sains prélevés sur le corps du patient (greffes ou lambeaux). En plus, il ne faut pas oublier d'autres moyens de traitement des plaies comme la cicatrisation naturelle dite « dirigée ». Il s'agit d'une méthode de couverture des pertes de substances cutanées. La plaie n'est pas laissée seulement à son évolution spontanée mais elle est soignée de façon particulière par des pansements spécifiques.
Ainsi, dès mon arrivée un mois après le tremblement de terre, nous avons vu les 200 blessés qui étaient hospitalisés à l'hôpital de Saint-Louis avec un chirurgien orthopédiste. Plus d'une trentaine avaient besoin de chirurgie plastique. Quelques interventions avaient déjà été pratiquées. A ce moment-là, la quantité de travail était réellement impressionnante, nous ne nous arrêtions quasiment pas pendant douze heures d'affilée et il fallait établir des priorités. J'ai pratiqué une vingtaine d'interventions, certaines complexes. Par exemple, nous avons effectué une expansion de la peau au niveau du cuir chevelu par la mise en place d'expandeurs cutanés, ou encore une reconstruction de la cavité orbitale et du nez.
Quels sont les avantages par rapport à la cicatrisation spontanée ?
Premièrement, la plaie est rapidement refermée donc les bactéries ne trouvent plus cette porte ouverte vers le corps. A Port-au-Prince, je savais que les patients qui quittaient l'hôpital allaient vivre dans des conditions très précaires, malgré la tente et le matériel distribués par MSF. Le risque d'infection était élevé et la chirurgie plastique, entre autres, pouvait le réduire.
Deuxièmement, les soins postopératoires sont moins lourds, il n'y a pas autant de pansements à changer régulièrement, parfois pendant des semaines. Par exemple, grâce à une technique simple comme la greffe de peau, on peut rapidement refermer une plaie superficielle plutôt qu'attendre qu'elle soit complètement cicatrisée. Dans un contexte où des dizaines de milliers de personnes sont blessées en même temps, comme c'était le cas à Haïti après le séisme, diminuer les besoins en soins postopératoires a une vraie valeur ajoutée.
Troisièmement, quand la blessure est située au niveau d'une articulation, le mouvement va être limité par la cicatrice, qui est un tissu fibreux. La chirurgie plastique permet de conserver davantage de mobilité puisque ce sont des tissus cutanés ou musculaires qui sont remplacés par des lambeaux ou transferts de tissu, prélevés localement ou à distance de la plaie.
Le critère esthétique n'intervient pas ?
L'intervention n'est pas décidée en fonction de critères esthétiques mais je fais de la chirurgie réparatrice aussi avec un regard esthétique. Il ne s'agit pas d'esthétique dans le sens de beau mais de morphologique. Je fais attention à respecter la forme originale du corps ou du visage du patient. Je me souviens d'une femme d'une quarantaine d'années qui avait une plaie importante au visage, une rétraction de la paupière due à une perte de substance de la région temporale assez profonde. Les risques médicaux étaient sérieux : la cicatrisation aurait pris du temps, laissant sa cornée exposée, la patiente pouvait se blesser ou attraper une infection et perdre son œil. Cette plaie représentait une gêne physique mais aussi psychologique. Je l'ai opérée et après son réveil, elle m'a demandé de prendre une photo d'elle. Je ne considère pas la question de l'esthétique comme anecdotique ou réservée aux plus riches, il s'agit de statut autant que d'aspect. Dans de nombreux pays, les personnes affublées d'handicaps esthétiques, par exemple le bec de lièvre ou les séquelles du noma*, sont exclues de la société. Leur rendre leur visage est aussi un moyen de leur donner une chance d'insertion sociale.
L'intervention de chirurgiens plasticiens pour ce type d'urgence massive est-elle courante ?
A Port-au-Prince et même dans tout le pays, nous n'étions que deux chirurgiens plasticiens à pouvoir utiliser cette spécialité pour les blessés en février. Avant le tremblement de terre, l'autre chirurgienne travaillait dans la seule clinique plastique privée de la capitale. Elle a opéré beaucoup de blessés. Les équipes chirurgicales déployées en urgence ne comprennent encore que très rarement des plasticiens. C'est un domaine où il faut des instruments très précis et différents des autres spécialités chirurgicales, qui ne sont pas inclus dans le kit d'urgence ! Il ne s'agit pas de multiplier les spécialistes à des moments où il peut y avoir un embouteillage d'équipes chirurgicales qui veulent atterrir mais notre rôle dépasse les seules interventions que nous pratiquons. A mon arrivée, j'ai acquis une vision d'ensemble sur les besoins des patients et sur ce qui était possible localement, dans les structures MSF et au-delà. Une fois qu'un réseau est établi entre les différents acteurs de santé concernant les besoins chirurgicaux très spécifiques, nous pouvons référer les patients et si besoin faire venir ponctuellement un spécialiste, par exemple un micro-chirurgien.
Six mois après le tremblement de terre, les besoins restent-ils importants dans le domaine de la chirurgie plastique ?
Il y a les besoins actuels des patients mais il y a aussi, et c'est pour moi une forte motivation, la transmission de savoir-faire aux chirurgiens nationaux. Durant ma première mission, cette spécialité a fortement intéressé mes collègues haïtiens. J'ai effectué une présentation sur la question des escarres et j'ai pu faire une journée de formation pratique au bloc pour un chirurgien. Mais il y avait tellement de travail urgent que c'est resté limité. Je veux transmettre d'autres éléments utiles, comme les techniques simples de réparation de plaies en urgence et la cicatrisation cutanée. Un chirurgien plasticien est utile dans l'urgence, et après !
* Le noma est une forme de gangrène foudroyante qui se développe dans la bouche et ravage les tissus du visage. Il touche principalement les enfants en bas âge (moins de 6 ans). Ses causes étant principalement le manque d'hygiène et la malnutrition, le noma est souvent associé à des conditions de pauvreté extrême.