Fin avril, l'équipe de MSF a transféré au ministère de la santé iranien
et aux autorités locales son programme de soutien psychologique.
L'occasion pour nous de revenir sur ce programme d'aide et de soutien
auprès des victimes du tremblement de terre qui a dévasté la région de
Bam en décembre 2003.
Le 26 décembre 2003, la ville de Bam subissait un tremblement de terre
d'une intensité de 6.7 sur l'échelle de Richter. Les équipes de
Médecins Sans Frontières se sont immédiatement mobilisées pour fournir
de l'aide médicale et évaluer les besoins. MSF a l'expérience des
catastrophes naturelles et sait qu'une prise en charge, immédiate et
sur du " long-terme ", des besoins en santé mentale doit être mise en
place auprès d'une population survivante qui doit gérer ce qui vient de
se passer et se préparer à l'avenir.
D'autres
programmes spécifiquement dédiés à la santé mentale ont été développés
dans des circonstances similaires. Le bilan officiel des victimes de
Bam fait état de 26 000 morts : la plupart des habitants ont perdu un
membre de leur famille, un ami... Pour la majorité, la destruction de
leur propriété était totale. Le rôle des psychologues a été de mener
des évaluations et d'offrir un exutoire aux angoisses et aux
inquiétudes de cette population sinistrée.
|
|
Iran - janvier 2004
Ce couple se recueille sur la tombe de leurs deux filles décédées lors du tremblement de terre.
|
|
40 jours de deuil n'ont pas suffi
Dans la culture iranienne, la mort d'un proche est suivie de 40 jours
de deuil. Un moment à part où les familles peuvent se consacrer à cette
perte, un temps pour se poser et se préparer à aller de l'avant.
Cependant, l'impact du tremblement de terre de Bam était considérable
et, bien que 40 jours se soient écoulés et malgré le fait que les gens
aient tenté de retourner à une vie " normale ", les effets
post-traumatiques du tremblement de terre se sont manifestés. Ce
n'était donc pas une surprise lorsque les sentiments de frustration et
de culpabilité, silencieusement retenus pendant quelque temps, ont
commencé à émerger.
Chacun
a réagi à sa manière : certains s'en sont pris à la communauté
internationale qui a mis, selon eux, trop longtemps à réagir et à
apporter les premiers et essentiels secours ; beaucoup ressentent une
immense colère, ils ne peuvent pas dire pourquoi ni d'où elle vient ils
la ressentent c'est tout ; quelques uns incriminent le manque de
qualité des constructions et parlent du besoin d'améliorer les normes
anti-sismiques des habitations ; pour beaucoup, le séisme a été une
punition, une " volonté de Dieu ", ils méritaient cette catastrophe car
trop égoïstes " avant ", pas désireux de s'entraider quand tout allait
bien ; pour d'autres, le simple fait de vivre à proximité d'une "
mauvaise personne " était suffisant pour être eux-aussi punis.
Le choc bloquait la reconstruction
Le degré du choc ressenti a eu des conséquences sur la mise en place de
notre programme d'aide psychologique. Même si nous savions que les
besoins existaient, la population était encore trop choquée pour penser
demander de l'aide. Nous avons dû beaucoup communiquer, déployer
énormément de patience avant que les gens ne réagissent. Le soutien
psychologique doit être une action proactive où ceux qui apportent
l'aide rendent visite à des personnes qui ne sont souvent pas
conscientes d'à quel point elles ont été touchées par le désastre. Il
n'y a pas que le soutien psychologique qui a demandé du temps. Les
distributions de tentes, de nourriture, d'eau ont également mis du
temps à se mettre en place au sein de la communauté. L'aide existait,
mais les gens étaient dans l'incapacité de tirer parti de ce qui était
disponible et proposé. Le choc était encore présent : nos psychologues
retrouvaient des personnes assises à un coin de rue, hébétées et
confuses, deux semaines après le drame.
Puis,
le temps passant, les rescapés étaient de plus en plus à même de réagir
à la situation et de commencer à se reconstruire une vie. Les besoins
concrets sont redevenus prioritaires, les demandes pour avoir à nouveau
accès à l'eau, à l'hygiène, au gaz et à l'électricité étaient les
premiers signes évidents d'une volonté de retour à la normalité. Vers
la mi-février, il y a eu quelques signes d'amélioration. Les survivants
reconnaissaient qu'ils avaient besoin de parler de ce qui s'était
passé, de ce qu'ils avaient enduré, se sentaient prêts à aller de
l'avant. Cependant, pour certains, le traumatisme restait
insurmontable. Ainsi, une femme nous disait faire tellement de
cauchemars qu'elle s'enfuyait, chaque nuit, paniquée de sous sa tente.
Les demandes de médicaments pour dormir ou même oublier ce qui s'était
passé étaient fréquentes.
|
|
Iran- janvier 2004
Les équipes mobiles de MSF vont à la rencontre des familles hébergées
dans des tentes, installées souvent à proximité des restes de leur
maison.
|
|
Nouer le contact
Etablir un lien avec ces gens était essentiel. Les survivants n'étaient
pas en état de se rendre compte de leurs besoins et de la nécessité de
nos visites. C'est pourquoi il était crucial que ce soit nous qui leur
rendions visite et leur apportions directement notre soutien et ce dès
les premiers jours et semaines qui ont suivi le séisme.
Les
psychologues de Médecins Sans Frontières faisaient le tour des camps,
"frappant" aux entrées des tentes et expliquant ce que nous pouvions
apporter. La plupart des gens étaient contents de les voir.
Il
y a eu les premières consultations. Les patients nous parlaient d'amis,
de membres de leur famille qui se sentaient mal, dans un état " pire "
que le leur. Il est fréquent que les gens mentalement fragiles " avant
" souffrent encore davantage " après " d'avoir survécu. Le bouche à
oreille a été rapide et nos équipes se sont rapidement rendues compte
que beaucoup avaient entendu parler de nos visites et attendaient que
nous nous présentions à la " porte " de leur tente.
La manière
de procéder était souvent la même : une petite discussion anodine, au
début, débouchait rapidement sur une conversation plus longue et
approfondie sur le séisme et les conséquences que ça a eu pour la
famille. Les psychologues pouvaient alors évaluer le degré de
souffrance et le besoin des rescapés d'être soignés et suivis. Ceux qui
surmontaient mieux que les autres leur traumatisme étaient aussi
sensibilisés afin de veiller sur ceux qui dans leur entourage
souffraient peut être davantage et nécessitaient le soutien de leurs
proches.
Reconnaître sa souffrance
L'aptitude à reconnaître qu'on est psychologiquement affaibli peut être
une des clés d'un rétablissement rapide et aider, le temps passant, à
se sentir mieux. Réaliser la sévérité des conséquences du séisme sur
l'état psychologique des rescapés était souvent plus facile via des
sessions de groupe, quand familles ou groupes d'amis pouvaient discuter
librement et réaliser que ce qu'ils ressentaient était partagé par
d'autres. Ce partage est important car il amoindrit le sentiment de
culpabilité individuel.
L'urgence
passée, Médecins Sans Frontières a transféré son programme de soutien
psychologique au ministère de la santé iranien et aux autorités
locales. Notre expérience à Bam a démontré le réel besoin de continuer
à soutenir psychologiquement, y compris sur du long-terme, la
population. Les autorités locales sont désormais informées des besoins
et des possibilités de soigner.
Photos : Tim Dirven