Les récents progrès obtenus dans la lutte contre la rougeole ne peuvent
faire oublier que cette maladie reste l'une des principales causes de
décès chez l'enfant en Afrique. Malgré l'amélioration de la couverture
vaccinale dans certains pays, des épidémies de rougeole surviennent
toujours. A chaque fois, des milliers d'enfants tombent malades et une
forte proportion d'entre eux meurt.
L'Organisation mondiale de la Santé
(OMS) soutient les campagnes de vaccination routinières mais ne
recommande toujours pas de vacciner massivement une fois l'épidémie
déclenchée. Or les interventions de MSF, documentées par les travaux
d'Epicentre, montrent que les campagnes de vaccination permettent de
protéger les personnes les plus à risque, de diminuer le nombre de
décès et de limiter l'expansion de l'épidémie.
« Une épidémie de rougeole a frappé la région de Katsina, au Nigeria, en 2005, rappelle Thierry Allafort, responsable des urgences à MSF. Nous
estimons que le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans
était trois fois supérieur au seuil critique communément admis. Les
enfants meurent aussi des complications liées à la rougeole, jusqu'à un
an après la maladie : à Katsina, la moitié des enfants pris en charge
pour malnutrition sévère avaient été atteints par la rougeole. » Cet
exemple illustre bien la gravité des conséquences de la rougeole.
Or il
existe un vaccin efficace quelques jours après l'injection. « La priorité pendant les épidémies est de soigner les malades et d'éviter les complications, explique Thierry. En deuxième priorité, il faut absolument vacciner les enfants. » Même tardivement, puisque les épidémies peuvent être longues. Une
épidémie à Kinshasa, en République Démocratique du Congo, a duré plus
de 40 semaines entre 2002 et 2003.
Mieux vaut tard que jamais
Mais les équipes menant une intervention d'urgence sur une épidémie de
rougeole se heurtent très souvent à l'opposition des autorités
sanitaires. Cela entraîne au mieux des retards et, au pire,
l'impossibilité de mener ces campagnes. Au Nigeria, MSF n'a pas obtenu
l'autorisation de vacciner. Au Niger en 2004 et au Tchad en 2005, plus
de 150 000 enfants de moins de cinq ans ont été vaccinés, dans chacun
des pays, durant l'épidémie. Mais les vaccinations ont été tardives. Au
Tchad, à N'Djamena, MSF a proposé une campagne de vaccination six
semaines puis à nouveau treize semaines après le début de l'épidémie.
Mais ce n'est qu'à la dix-neuvième semaine que l'autorisation a enfin
été délivrée.
Même
tardives, ces campagnes ont été efficaces puisqu'elles ont été suivies
d'une baisse du nombre de cas de rougeole. Par exemple, au Niger en
2004, un début d'intervention au 160ème jour (soit plus de cinq mois)
après le début de l'épidémie a permis d'éviter au moins 800 cas (8%)
selon nos études. On ne peut qu'imaginer combien de cas auraient pu
être évités si la campagne de vaccination avait pu se tenir plus tôt...
« Il faut intervenir le plus tôt possible », résume le docteur Philippe Guérin, d'Epicentre.
Convaincre l'OMS
Les discussions à ce sujet entamées avec l'OMS depuis plus d'un an
n'ont toujours pas abouti. Le changement des recommandations attendu à
la fin de l'été, n'a pas eu lieu. Un groupe d'experts indépendants a
pourtant recommandé ce type d'intervention, pertinente d'un point de
vue médical, mais aussi économique. Le vaccin contre la rougeole coûte
23 centimes d'euro la dose, une somme dérisoire par rapport au coût de
traitement à l'hôpital d'un enfant atteint d'une complication grave
liée à la rougeole. Sans lever tous les obstacles à la réalisation de
telles campagnes, le changement de politique de l'OMS contribuerait au
moins à convaincre les autorités sanitaires nationales de l'importance
de ce volet dans une intervention d'urgence. Alors, pourquoi attendre ?