A Batouri et Garoua-Boulaï, le traitement médical classique de la malnutrition chez les enfants va de pair avec un accompagnement psychosocial. Cette prise en charge multidisciplinaire, qui inclut les activités de santé mentale pour les patients malnutris et leurs familles, favorise le rétablissement des jeunes enfants.
Entretien avec Mira Demachkié, psychologue et responsable de l’activité de santé mentale.
Pourquoi associer la santé mentale au traitement de la malnutrition ?
"Nourrir un enfant, c’est bien plus que lui donner à manger. Nous savons que la santé mentale d’un patient malnutri a souvent un impact, positif ou négatif, sur l’avancée de la maladie. Les stimulations physiques et affectives sont essentielles au bon développement d’un enfant. Souvent, les enfants malnutris souffrent d’apathie ou d’une régression psychomotrice. Lorsque l’enfant ne répond plus aux stimulations de sa mère, celle-ci risque parfois de lui porter moins d’attention. En renforçant la relation du parent/accompagnant avec son enfant malade, nous voulons favoriser la guérison.
De plus en plus souvent chez MSF nous essayons d’intégrer les activités de santé mentale à celles de nutrition - elles ont leur place dans n’importe quel contexte. Pour l’instant, elles sont surtout menées dans des contextes de guerre et de déplacements comme ici au Cameroun ou à Dadaab au Kenya. Ici, la majorité des patients admis dans nos centres nutritionnels sont des réfugiés qui ont fui la Centrafrique. Ces familles ont vécu la guerre et les déplacements. Certains ont vu leurs proches se faire tuer ou torturer. Ces situations très dures déclenchent des réactions psychologiques qui méritent toute notre attention car elles peuvent freiner l’amélioration de l’état de santé du malade. C’est pourquoi nous proposons également des consultations spécifiques à ceux qui en ont besoin et qui acceptent notre soutien, que ce soit un patient ou un membre de sa famille.
En quoi consistent les activités mises en place ?
En plus des consultations individuelles, nous organisons des séances de groupe parent-enfant au cours desquelles nous sensibilisons les parents (ou les accompagnants) à la nutrition, soulignons l’importance de leur rôle et renforçons leur estime d’eux-mêmes. Ces personnes occupent une place prépondérante dans la vie du jeune malade; elles l’aideront à se développer et à interagir avec le monde qui l’entoure.
Lors des rencontres, nous encourageons les stimulations affectives envers l’enfant et insistons sur l’importance du regard et du toucher. En collaboration avec l’équipe de promotion de la santé, nous organisons des animations, où nous demandons au parent de jouer avec son enfant, de danser ou de dessiner ensemble. Au début, c’était un peu difficile car ce n’est pas la coutume des mamans ou des accompagnants de jouer avec les enfants. Chaque culture a sa propre façon de montrer son affection. Ici les mamans chantent, donnent le sein ou secouent les bébés gentiment sur leur dos.
Pour les enfants qui sont médicalement stables, nous proposons également aux mères de les masser, car c’est une excellente stimulation physique. Et surtout, nous leur montrons que si l’enfant ne parle pas, il peut répondre de façon différente, en souriant par exemple.
Les séances de groupes avec les psychologues marchent très bien. Les mamans se soutiennent entre elles et elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir participer aux activités.
Quels sont les effets sur la santé des enfants malnutris ?
Les enfants sont très sensibles à ce qu’ils reçoivent – ou ne reçoivent pas, des parents ou accompagnants. Un enfant malade dont on se désintéresse n’aura pas envie de se battre pour survivre.
L’organisation mondiale de la santé (OMS) a démontré que le renforcement du lien parent-enfant et le soutien psychosocial dans le cadre du traitement contre la malnutrition permettent une récupération nutritionnelle plus efficace de l’enfant. De plus, si par exemple une maman se sent bien psychologiquement, elle portera plus d’attention à son bébé, ce qui aidera l’enfant à se rétablir.
Les améliorations sur la santé de l’enfant hospitalisé peuvent être visibles en quelques sessions seulement. Nous observons également une nette progression pour le parent qui répond plus adéquatement aux émotions et aux besoins de l’enfant et qui en tire une grande gratification..
A l’inverse, dans le cas d’une prise en charge médicale où il n’y a pas d’ accompagnement en santé mentale pour l’enfant et son parent ou accompagnant, les chances sont plus élevées de voir les parents quitter le centre nutritionnel avant le rétablissement de l’enfant, compromettant ainsi la guérison. .
L’intégration des activités de santé mentale au volet médical et de promotion de la santé contribue à une meilleure prise en charge globale des patients qui souffrent de malnutrition. Ces activités doivent aller de pair. C’est aussi un exemple d’une belle unité au sein des équipes MSF et qui met en avant les bienfaits et la nécessité des activités de santé mentale".
Selon les chiffres officiels, près de 130 000 réfugiés centrafricains ont rejoint le Cameroun depuis janvier 2014. MSF travaille en support au ministère de la Santé camerounais et est présente à l’est du pays, où la majorité des réfugiés se trouvent. Depuis février 2014, l’action de MSF comprend les consultations médicales, la référence des cas graves vers les hôpitaux de districts, le traitement de la malnutrition modérée et sévère, , le support psychosocial à Garoua-Boulaï, Gbiti et Batouri et d’autres activités liées à l’eau et assainissement.