Quelles sont les principales difficultés de traitement des enfants malades du sida ?
Dans les pays en développement, les enfants ont un accès au traitement
encore plus réduit que pour les adultes. La plus importante difficulté
est qu'il n'existe pas de formulation pédiatrique sous forme de
combinaison à doses fixes (soit trois molécules dans un seul comprimé),
comme il en existe pour les adultes.
Ces
médicaments - un seul comprimé à prendre deux fois par jour -
faciliterait à la fois la prise en charge et l'adhérence des enfants au
traitement. Avoir les trois molécules de la trithérapie dans un seul
comprimé, comme pour les adultes, et au bon dosage, permet d'être
certain de la qualité du traitement. Il permettrait aux mères - où aux
adultes qui s'occupent d'eux, parfois les grands-parents, car ce sont
souvent des orphelins du sida - de donner plus facilement les
traitements à leurs enfants. Certains fabricants de génériques indiens,
notamment Cipla et Ranbaxy, travaillent toutefois à la mise au point de
combinaisons à dose fixe génériques. Mais ils devront aussi passer des
tests de bio-équivalence pour que leur qualité soit certifiée par l'OMS
avant d'être disponibles. Nous espérons toutefois avoir accès à ces
combinaisons à doses fixes à la fin de l'année.
Ne pas avoir de comprimés faciles à utiliser est donc l'obstacle majeur pour le traitement des enfants.
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Nairobi, la "Blue House"
La Blue House a ouvert ses portes en 2001. Située en bordure du
bidonville de Mathare, à Nairobi, cette clinique gérée par MSF offre
des soins aux patients malades du sida. 10 à 15% des patients sont des
enfants. © Sebastien Le Clezio
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Quels sont les médicaments existants pour les enfants ?
Tout d'abord, il n'existe pas de formulation pédiatrique pour toutes
les molécules. Ce qui oblige donc à utiliser des médicaments pour
adultes et à les écraser, car ils sont trop gros pour être avalés par
des enfants. D'autres doivent être coupés en deux pour obtenir un
dosage correspondant à leur poids. Ce qui n'est pas une méthode facile
à faire et qui comporte un risque de surdosage, qui peut s'avérer
toxique pour les enfants.
Certains
médicaments (AZT, névirapine, 3TC) sont disponibles en sirop, mais ont
de nombreux inconvénients : ils doivent être conservés à basse
température ; leur goût, le plus souvent amer, est difficile à absorber
par les enfants ; et enfin leur dosage est délicat. Certains sirops
doivent être mélangés avec de l'eau, ce qui est parfois difficile dans
les contextes où l'accès à l'eau potable n'est pas garanti. Enfin, les
sirops ne peuvent pas être utilisés pour les enfants de plus de 10
kilos : comme le dosage est en fonction du poids, il faudrait tellement
de boites de sirop que c'est tout simplement impossible à mettre en
oeuvre.
Pourquoi n'existe-t-il pas de formules pédiatriques des ARV ?
Dans les pays occidentaux, les programmes de prise en charge des mères
séropositives permettant de diminuer la transmission à l'enfant ont
considérablement réduit le nombre d'enfants séropositifs à la
naissance. Ainsi, il n'y a pas, pour les laboratoires, de marché pour
le développement de formules pédiatriques. Les enfants malades du
VIH/sida dans les pays en développement pâtissent du fait que les
enfants des pays riches ne sont plus exposés à la maladie.
Ainsi,
au final, le traitement des enfants malades du sida, avec les
médicaments existants, peut coûter jusqu'à 4 fois plus cher que celui
des adultes.
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Les anti-rétroviraux n'existent pas ou peu sous forme pédiatrique,
obligeant le personnel médical à broyer les médicaments destinés pour
les adultes pour que les enfants puissent les avaler, ou à les couper
en deux, afin d'obtenir le bon dosage.
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Le diagnostic des tout-petits représente-t-il une difficulté ?
Dans les pays en développement, 50% des enfants séropositifs meurent avant l'âge de deux ans.
La
raison principale est qu'on ne dispose pas d'un outil diagnostic simple
qui puisse confirmer la séropositivité des enfants de moins de 18 mois.
A cause de la présence d'anti-corps de la mère dans le sang de
l'enfant, l'interprétation d'un test sérologique est impossible et l'on
ne peut donc pas savoir si l'enfant est infecté ou pas.
Dans
les pays riches, on utilise une méthode diagnostique sophistiquée qui
permet de donner des résultats précis dès le premier mois. Mais cet
outil ne peut être utilisé dans les pays en développement.
Sans
diagnostic précis, seul l'examen clinique et le test immunologique ?
qui mesure les CD4 * - peut déterminer si l'enfant doit être traité. Si
la mère est séropositive, si l'enfant a un taux de CD4 bas et si il
présente un certain nombre d'infections opportunistes, il est presque
certain que l'enfant est infecté par le virus. Sur cette base, il est
donc possible de démarrer une tri-thérapie. Mais un diagnostic simple
d'utilisation reste indispensable afin d'être certain du diagnostic VIH.
*
le taux de CD4 mesure le degré d'immunodépression, qui est la faculté,
pour le patient, de lutter contre les maladies opportunistes.
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Esther , 5 ans, a été amenée par une de ses voisine pour la consultation VIH à la Blue House de Nairobi. © David Levene
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La grossesse et l'allaitement sont-elles des périodes critiques ?
Dans les pays en développement, la plupart des enfants sont infectés
par le virus au cours de la grossesse ou pendant l'allaitement. On
estime que les risques de transmission en Afrique sont compris entre 35
à 45%, par manque de traitement adapté. Pour remédier au risque de
transmission, la névirapine en une dose est parfois utilisé pour la
mère pendant l'accouchement et pour le nouveau-né.
Mais,
ce médicament conduit à un risque élevé de résistance : en tentant de
protéger l'enfant, l'utilisation de la névirapine peut compromettre le
traitement de la mère (le seul traitement largement disponible
aujourd'hui dans les pays en développement est la tri-thérapie
comprenant névirapine , 3TC, D4T). Même l'OMS reconnaît qu'un autre
protocole de traitement devrait être recommandé. L'idéal serait que la
mère puisse avoir accès à une trithérapie pendant la grossesse et
pendant l'allaitement.
Même quand un traitement
anti-rétroviral peut être délivré à la mère, la transmission du virus
peut aussi se faire pendant l'allaitement. Mais il est difficile de
proposer aux mères des alternatives à l'allaitement : utiliser du lait
maternisé nécessite d'avoir accès à l'eau potable, ce qui n'est pas
toujours aisé dans les pays en développement ; le coût du lait
maternisé le rend inabordable pour a plupart des femmes en Afrique.
L'utilisation du biberon doit obéir à des règles d'hygiène, elles aussi
difficiles à mettre en oeuvre. De plus, de nombreuses mères refusent
d'utiliser des biberons par peur de la stigmatisation.
Quels sont les autres obstacles à la prise en charge des enfants ?
La liste est longue. En fait, nous manquons d'expérience sur le
traitement des enfants. Il n'y a pas suffisamment de recherche
opérationnelle sur les enfants vivant avec le virus. Nous nous heurtons
également à la difficulté de traitement des maladies opportunistes,
notamment la tuberculose. Il n'y a pas non plus de diagnostic simple
adapté aux enfants tuberculeux : le diagnostic généralement employé,
c'est-à-dire l'examen des crachats, ne marche pas chez les enfants qui,
tout simplement ne peuvent pas produire de crachats.
La
question de l'adhérence est un autre problème important. Il est lié au
fait que beaucoup sont des orphelins, donc que les adultes qui les
prennent en charge, souvent les grand-mères, peuvent être âgés, ont du
mal à comprendre les problèmes de traitement. Ou à expliquer aux
enfants malades pourquoi ils doivent prendre le traitement alors que
d'autres enfants ne prennent pas de médicaments.