Ils se sont sauvés, mais à quel prix ? Les réfugiés Nord-Coréens que reçoivent les deux psychologues de notre programme à Séoul font partie de la petite minorité qui a réussi à surmonter tous les obstacles pour gagner la Corée du Sud. Mais c'est bien souvent une succession d'événements traumatisants qui les ont obligés à fuir toujours plus loin.
Partir était une question de survie. Pour échapper à la famine ou à une arrestation, ils ont d'abord gagné la Chine. Là, leurs espoirs de pouvoir aider leurs proches restés en Corée du Nord se heurtent souvent à une dure réalité. "Je suis partie parce qu'il n'y avait rien à manger, raconte une jeune femme frêle. Je voulais travailler pour envoyer de l'argent à mon mari et à mes deux enfants, mais pendant sept ans, je n'ai pas réussi à gagner assez." Lorsqu'elles arrivent en Chine, de nombreuses femmes nord-coréennes sont vendues par leurs passeurs à des hommes. En Chine, les réfugiés nord-coréens sont considérés comme des clandestins et vivent dans la peur d'une arrestation. Des amendes dissuadent la population de les aider et des récompenses encouragent la délation. Ceux qui se font prendre sont renvoyés en Corée du Nord où le régime punit sévèrement les "traîtres" qui ont osé fuir. "J'ai passé six mois dans un camp de travail, raconte une réfugiée dénoncée par ses voisins chinois. Beaucoup de femmes sont mortes autour de moi. Quand j'ai pu rentrer chez moi, j'avais perdu tous mes cheveux. Ma mère me croyait morte et ne m'a pas reconnue. Quelques mois plus tard, j'ai fui de nouveau."
Fuir toujours plus loin, perdre des proches
Cette menace constante d'être expulsé pousse certains réfugiés à poursuivre leur exil. "C'était trop dangereux de rester en Chine, alors j'ai décidé de partir en Corée du Sud", raconte un homme. Lorsqu'ils y parviennent, beaucoup sont traumatisés par la perte de proches. Les trois quarts des 90 patients qui ont suivi une thérapie avec les deux psychologues de MSF à Séoul cette année vivent seuls en Corée du Sud. Quasiment tous ont encore des proches en Corée du Nord, un tiers ayant un conjoint ou des enfants.
"Je n'ai rien pu faire pour empêcher ma femme de mourir de faim en Corée du Nord, témoigne un homme. C'est trop de souffrance pour moi, je pense tout le temps à elle". Certains ont perdu des membres de leur famille durant la fuite, comme cet homme rencontré à Séoul : "Ma femme, mon fils et ma fille ont été emportés par le courant lorsque nous traversions le fleuve Tumen, à la frontière entre la Corée du Nord et la Chine. Ils se sont noyés tous les trois. Je suis arrivé en Chine, vivant mais seul."
La culpabilité d'avoir laissé derrière eux des parents ou des enfants est également très présente chez les réfugiés. "Quand nous avons décidé de fuir la Corée du Nord, nous avons laissé nos deux enfants âgés de deux et quatre ans à ma mère. Au bout d'un an, c'était trop dur pour elle de s'en occuper alors elle a les a laissés dans un orphelinat. Maintenant que nous sommes en sûreté, nous essayons de les retrouver", confie une mère de famille. La culpabilité est d'autant plus forte que, en Corée du Nord, celui qui a fui est considéré comme un traître. Pire, toute sa famille peut être tenue pour coupable de sa défection. "Je suis parti comme un voleur, sans en parler à ma famille, et maintenant je souffre de cette séparation. Le seul moyen pour moi de survivre est de les chasser de ma mémoire", explique un jeune homme. "Après avoir aidé mon fils à traverser le fleuve Tumen, mon frère a été arrêté et envoyé dans un camp avec toute sa famille, raconte un homme. J'ai très peur parce que sa femme avait un problème de santé. Sans traitement médical, elle va mourir. Je me sens tellement coupable." Même en Corée du Sud, la peur de mettre en danger les proches restés en Corée du Nord reste présente. Une femme se méfie de tout appareil photo, de crainte qu'avec une preuve de sa "trahison", le régime s'en prenne à sa famille.
Reconnaître et soigner les souffrances psychologiques
Depuis le début de notre programme de soins psychologiques pour les réfugiés Nord-Coréens en août 2003, plus de 200 patients ont suivi une thérapie. "Je suis arrivée l'année dernière mais depuis, j'ai des insomnies et des cauchemars. C'est la première fois que je peux parler librement de tout ça, avant c'était complètement impossible. Maintenant je me sens mieux", affirmait l'un d'eux à la fin d'un entretien.
Depuis janvier, nos psychologues peuvent intervenir dans le centre de transit où les réfugiés passent trois mois à leur arrivée. Il a fallu du temps pour montrer le bénéfice d'un programme de santé mentale dans un pays où les soins psychologiques restent méconnus, et où les réfugiés nord-coréens sont fortement stigmatisés. "Parce que mon père avait été incarcéré dans un camp politique, je n'avais aucun futur en Corée du Nord. Pour moi, c'était une grande souffrance, mais ici je me heurte au même problème. Parce que je viens de Corée du Nord, je n'ai aucun futur en Corée du Sud. Où est la solution ?", s'interroge une jeune fille.
Désormais, des psychologues et psychiatres sud-coréens s'impliquent dans ce travail. Reconnaître et soigner les souffrances psychologiques des réfugiés nord-coréens, c'est leur permettre d'envisager l'avenir. C'est aussi, pour les Sud-Coréens, une occasion de mieux les comprendre et de mieux les accepter.