" Je suis revenue pour la première fois à Leer au mois de février, peu après les violences, pour une courte visite. La ville, autrefois vivante et animée, était complètement vide et notre hôpital avait été incendié, pillé et détruit.
Mi-avril, nous avons appris que la population avait commencé à regagner la ville après avoir passé plusieurs mois dans le bush. Le 1er mai, une petite équipe MSF et moi-même sommes retournés à Leer pour y mener une évaluation. Nous avons également célébré nos retrouvailles avec le personnel local.
À notre retour, ce que nous avons vu était alarmant : des centaines d'enfants malnutris nécessitaient un traitement d'urgence. Les violences et les déplacements de population avaient visiblement eu des conséquences dévastatrices sur les habitants. Le temps que mes collègues ont passé dans le bush semblait gravé sur eux. Ils paraissaient plus vieux, leurs visages étaient décharnés.
Des premiers jours accablants
Notre hôpital, qui ne comptait même plus un seul lit, était la seule infrastructure de santé secondaire de tout le sud de l'État d'Unité. Cette destruction a privé des centaines de milliers de personnes de soins vitaux pendant plusieurs mois.
Le centre nutritionnel thérapeutique destiné aux enfants malnutris avait été incendié et son toit s'était effondré. Ainsi, le premier jour de notre retour à Leer, nous avons créé une sorte de salle d'attente dans l'un des bâtiments à moitié terminés.
En ce premier jour de retour, début mai, notre équipe a été submergée de patients. Nous sommes sortis de l'avion, nous avons marché en ville jusqu'à l'hôpital et avons découvert une file d'attente de patients qui attendaient déjà.
Ils ont commencé à affluer dans l'hôpital. C'était éprouvant. Les niveaux de malnutrition étaient effrayants. Nous venions de commencer un dépistage nutritionnel à l'extérieur de l'hôpital quand un membre du personnel national m'a appelé pour que j'examine un enfant. Je n'avais jamais vu un bébé aussi émacié. Cette petite fille avait sept mois et elle paraissait minuscule. Vraiment minuscule.
Repartir à zéro
Les besoins étaient colossaux et nous voulions recommencer à soigner la population le plus tôt possible. Une fois les bases du programme nutritionnel établies, nos collègues sud-soudanais ont continué sans nous pendant quelques jours pour que nous puissions organiser convenablement le rétablissement des activités à Leer.
Pendant le week-end, nous avons nettoyé l'hôpital, qui était sens dessus dessous après sa destruction. Puis, le 5 mai, nous avons fermé le dispensaire d'urgence que nous avions mis en place dans le bush et nous avons créé un service de consultations d'urgence à l'hôpital. Deux jours plus tard, mon équipe et moi-même étions de retour, et le 9 mai, un centre nutritionnel thérapeutique destiné aux enfants sévèrement malnutris de moins de cinq ans a vu le jour.
Le premier vendredi où nous avons ouvert, nous avons admis plus d'une centaine d'enfants. À la fin de la semaine suivante, nous avions admis 885 enfants au programme nutritionnel. Nous voyons jusqu'à 1 200 patients chaque semaine au service des consultations. Ces derniers souffrent principalement de malnutrition ainsi que de diarrhée aqueuse aiguë, d'infections respiratoires et de paludisme. Toutes ces affections sont dues aux mauvaises conditions de vie, en plein air et sans moustiquaires.
Des marchés vides, une pénurie de nourriture
Ces personnes ont beaucoup souffert et continuent de souffrir. Elles sont rentrées à Leer sans rien et n'y ont rien trouvé non plus à leur retour. Les habitants ont perdu leur maison, leurs possessions et sont privés des modes traditionnels de production et d'achat de nourriture.
La saison des pluies a débuté et les habitants commencent tout juste les semis. Mais il va falloir patienter longtemps avant la récolte. En attendant, le marché est vide et les gens ont faim.
Le marché propose quelques produits de temps à autre, comme du poisson séché, mais ce n'est pas suffisant. Quand des sacs de farine ou de sorgho sont disponibles, ils sont vendus deux à trois fois leur prix habituel. Tout part très vite. Tous ceux qui n'ont pas les moyens d'acheter ces produits au prix fort se retrouvent sans rien à manger. La situation est désespérée.
Le nombre d'animaux abattus au marché dépasse de loin les chiffres habituels. Quand les gens commencent à abattre leur bétail, c'est très mauvais signe dans un pays comme le Soudan du Sud, où les vaches constituent un signe extérieur de richesse.
Nombreux sont ceux qui sont obligés de manger leur bétail pour pouvoir survivre tout en sachant qu'ils anéantissent une source durable de revenus. En effet, le bétail produit du lait qui est ensuite vendu pour acheter de la nourriture. Mais les gens n'ont plus le choix. Ils doivent faire ce qu'il faut pour survivre, même si cela implique d'abattre leurs bêtes.
Les prochains mois seront redoutables
Les habitants veulent rester à Leer. Ils veulent cultiver leurs terres, reconstruire leurs maisons incendiées. Ils veulent vivre. Nous faisons ce que nous pouvons pour les aider, mais ça ne suffit pas.
Nous traitons des centaines de patients parmi les plus sévèrement malnutris, mais que faire de tous les enfants modérément malnutris ? D'autres organisations humanitaires doivent intervenir pour aider ces enfants avant que leur état n'empire ou que certains ne meurent. Davantage de distributions alimentaires doivent être organisées.
Les prochains mois seront redoutables. La saison des pluies a commencé et les conditions sanitaires dans les camps de déplacés se détériorent. Outre la malnutrition, les habitants meurent du paludisme, d'infections respiratoires et d'autres maladies évitables. Les Sud-Soudanais vivent déjà sur le fil du rasoir. Ils ont besoin d'une aide immédiate avant que la situation ne s’aggrave. "
MSF à Leer
MSF emploie actuellement plus de 207 Sud-Soudanais et autres à Leer. L'organisation humanitaire y fournit des soins externes et un traitement nutritionnel d'urgence. Le programme MSF de Leer compte également deux autres centres nutritionnels thérapeutiques ambulatoires au sud de l'État d'Unité, à Nyal et à Mayendit.
Avant la destruction de l'hôpital fin janvier, MSF travaillait à Leer depuis 25 ans. Elle y délivrait des soins ambulatoires et hospitaliers aux enfants et aux adultes, des soins chirurgicaux et maternels, un traitement de la co-infection tuberculose/VIH et des soins intensifs. L'hôpital était la seule structure de santé secondaire entièrement fonctionnelle au sud de l'État d'Unité. Il fournissait des soins à une population de 270 000 personnes.