« Ceux qui sont morts, nous les avons laissés derrière, nous avons
même dû laisser des blessés. Chacun est parti seul. Si tu as eu le temps de
prendre ton enfant, tu as de la chance. Nous sommes partis sans nous retourner
» se souvient Fatima, une femme de 60 ans arrivée à Birak le 20 février.
Les
premiers réfugiés sont arrivés au Tchad le 9 février, fuyant les attaques sur
Seleah, Abu Shuruj et Sirba, au Darfour. Une deuxième vague, venue de la région
du Jebel Moon, les a suivi à partir du 20 février. Petit à petit, les familles
se sont regroupées du côté tchadien. Près d’une semaine après la dernière
attaque, certains parents continuaient de chercher leurs enfants. Selon les
familles, beaucoup de personnes âgées qui ne pouvaient pas se déplacer seraient
restées au Darfour.
Partis sans rien. La plupart
des réfugiés n’ont rien pu emporter dans leur fuite. Arrivés au Tchad, ils se
sont regroupés dans différents sites sur plus de 30 kilomètres, le long de la
frontière. Il est difficile d’estimer leur nombre, environ 10 000 personnes,
peut-être plus. Ils se sont installés sous les arbres, dans les oueds ou
derrière de simples branchages.
Un certain nombre d’entre eux a reçu l’aide de
la population locale et des quelques organisations présentes – dont MSF– mais
beaucoup survivent dans des conditions encore très précaires. L’état de santé
des réfugiés semble pour l’instant rester stable. « Nous souffrons du froid et
nous avons mal au ventre, rien de grave. Mais dans quelques jours, il pourrait
y avoir un vrai gros problème », résume Abdallah, un homme venu du Jebel Moon
avec ses 13 enfants. Jusqu’à présent, il a survécu grâce à l’aide de la
population locale et de parents.
Aller-retour risqués. Sans
autre alternative, de nombreuses personnes décident de retourner dans leur
village au Soudan pour y chercher de quoi manger. Ce sont généralement les
femmes qui font le déplacement car les hommes se feraient tuer, disent-ils, les
miliciens étant toujours présents dans les villages. Elles entrent dans les
villages de nuit, pour éviter les hommes armés. Même ainsi, l’expédition n’est
pas sans risque.
«Les miliciens nous ont frappés avec des fouets »,
racontent Hawa et Fatima, retournées récemment
à Gosmino. « Si tu prends juste un petit sac de mil, ils te laissent passer,
mais si tu prends un grand sac ou autre chose, ils le prennent.» Fin février,
l’équipe de MSF du centre de santé de Birak a pris en charge un homme blessé
par balle alors qu’il tentait d’aller chercher de la nourriture à Seleah. « Il
n’avait pas le choix, il n’y avait plus rien à manger et sa femme est malade »
explique son oncle.
De nouveaux camps ? L’acheminement des secours vers cette région instable et isolée reste
extrêmement difficile. Tant qu’ils se trouveront le long de la frontière, la
situation de ces réfugiés ne saurait s’améliorer. Beaucoup considèrent que la
seule solution serait leur transfert vers un lieu plus sûr. « Nous ne pouvons
pas retourner au Soudan, à cause de l’insécurité. Et ici, nous ne pouvons pas
rester parce que nous n’avons pas de nourriture et pas d’eau. Si une
organisation nous emmène dans un autre camp, nous irons », dit une réfugiée
installée près du village de Figuera. Tous ne sont pas du même avis,
cependant : certains cheikhs (des chefs communautaires) préfèrent rester
près de la frontière pour pouvoir retourner au Soudan dès que la situation le
permettra. Mais pour bon nombre d’entre eux, fatigués de cette guerre qui n’en
finit pas, le retour au pays semble en ce moment exclu.
Pour la grande majorité
des réfugiés arrivés récemment au Tchad, il ne s’agit pas de la première
attaque. Presque tous disent avoir été déplacés en 2003 ou en 2004, suite à des
attaques de miliciens. « Le Darfour c’est trop amer, je ne veux pas y retourner.
Avant, je vivais bien dans mon village, mais en 2004, les miliciens nous ont
chassés dans un camp. Et maintenant ils nous ont chassés ici. Je ne veux pas
repartir », assure Fatima, la grand-mère arrivée à Birak il y a quelques jours.