« Entre 200 et 250 personnes se trouvaient sur une place dans le centre-ville lorsque celui-ci a été bombardé par un avion de chasse. Des ambulances se sont immédiatement dirigées sur les lieux de l’attaque pour évacuer les blessés. Une première vague de victimes est arrivée à l’hôpital quelques minutes plus tard. Il y avait 20 morts et 15 blessés. Nous avons immédiatement procédé au triage, en donnant la priorité aux blessés graves. Les patients nécessitant une opération de toute urgence ont été conduits au bloc, alors que les ponctions pleurales, le contrôle des hémorragies et la stabilisation osseuse s’effectuaient dans la zone de triage, sur le peu de lits disponibles ou à même le sol. Vu le nombre de blessés, j’ai compris qu’une catastrophe s’était produite. Ce n’était pas un des bombardements « classiques » auxquels nous avions fini par nous habituer.
Pendant que les ambulances s’affairaient à évacuer les morts et les blessés, la zone a été une nouvelle fois bombardée. L’attaque a fait de nouvelles victimes, y compris parmi le personnel paramédical. Heureusement, personne n’a été grièvement blessé, mais une ambulance a été entièrement détruite et une autre endommagée. De l’hôpital, nous entendions les explosions et le bruit des avions de chasse. Je n’arrêtais pas de penser que l’hôpital pouvait être à nouveau pris pour cible. Cela s’était déjà produit et nous avions perdu deux de nos confrères.
Toute l’équipe médicale était angoissée et triste, surtout ceux qui commençaient à reconnaître des proches et des amis parmi les blessés. C’est alors que de nombreuses personnes sont arrivées pour chercher leurs proches. L’hôpital était en état de choc. Malgré la panique, nous avons continué à travailler, pour essayer de sauver un maximum de vies.
Tout comme la majorité des structures de la région, notre hôpital est confronté à une pénurie de matériel médical. Le matériel de base manque cruellement. Notre capacité à faire face à ce type d’urgence est limitée, tant en termes de place que de lits, mais ce jour-là, nous étions la structure la plus proche de la zone bombardée.
Nous n’avons qu’une seule salle équipée pour surveiller les fonctions vitales et le seul et unique appareil dont nous disposons ne fonctionne pas en cas de coupure de courant, ce qui arrive souvent. Nous n’avons pas d’appareil d’assistance respiratoire. Un membre du personnel médical a donc aidé des patients à respirer en utilisant des masques de réanimation respiratoire. Faute de produits de stérilisation et d’anesthésiants en quantités suffisantes, nous avons dû opérer en improvisant. Pour nous servir de bandages, on était obligé d’utiliser des restes de tissus, stériles, mais qui n’étaient pas absorbants. Le plus grand problème était la pénurie de poches de sang et de perfusions, essentielles pour sauver des vies.
Parmi les blessés, il y avait des hommes, des femmes et des enfants. Certains avaient des blessures légères, d’autres étaient grièvement atteints. Le pire, c’était les lésions nerveuses. Lorsque le cerveau est touché par un éclat d’obus, nous sommes impuissants. Il n’y a aucun neurochirurgien dans la région et nous n’avons tout simplement pas les moyens d’opérer ce type de plaies. C’est avec les enfants que c’est le plus difficile, notamment lorsque nous devons les amputer d’un membre pour les sauver. Ces décisions sont une terrible épreuve pour les médecins dont les possibilités d’intervention sont très limitées.
Le bilan définitif a été très lourd. Nous avons pris en charge 128 personnes. Nous avons réussi à en sauver 60, mais pour les 68 autres, nous n’avons rien pu faire.
Ce jour-là, nous avons épuisé pratiquement tout notre stock médical. Nous avons utilisé près de 80 % du matériel médical et chirurgical. Aujourd’hui, nous n’avons quasiment plus aucun cathéter veineux. Nous faisons notre possible pour remédier à cette pénurie, mais c’est quasi mission impossible, vu le blocus et les barrages routiers. Pour pallier cette pénurie, il va nous falloir beaucoup de patience et de nombreux efforts. A cause du siège de la zone, nous ne recevons pratiquement plus aucun don. Certains hôpitaux de la région nous ont prêté une partie de leurs stocks, mais c’est insuffisant. Nous osons à peine imaginer ce que nous pourrions faire si nous étions confrontés à une nouvelle urgence de ce type.
Le monde est resté les bras croisés pendant des années. La situation médicale et les conditions de vie générales sont devenues totalement intenables. Pourtant, cela fait longtemps que nous avons tiré la sonnette d’alarme, en vain.
À travers son programme de soutien médical d’urgence, MSF approvisionne en matériel médical une centaine d’hôpitaux et de postes médicaux syriens, principalement dans les zones assiégées, pour garantir une offre de soins aux victimes du conflit. Néanmoins, les attaques répétées entraînent des blessures massives et une pénurie de fournitures médicales auxquelles nous avons peine à répondre, malgré nos efforts.
Ces quatre derniers mois, nos équipes ont été en contact, quotidiennement ou de manière hebdomadaire, avec les secouristes ou le personnel médical des hôpitaux soutenus par l’organisation. Les bombardements se sont intensifiés dans la région assiégée de la Ghouta orientale, et avec eux, les besoins médicaux de la population.
Activités de MSF en Syrie et dans les pays voisins en 2015
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