Naplouse, ville de 150 000 habitants vit en état de siège, encerclées par les checks points*. Depuis bientôt trois ans, MSF y propose des soins de santé mentale, des soins médicaux et une assistance sociale. 500 personnes en ont déjà bénéficié. Extraits du récit de mission de Francie Sadeski, Responsable de Terrain.
* Barrages militaires
Restrictions de mouvement, présence quasi permanente, de jour comme de nuit, de l'armée israélienne, violences directes...Autant de facteurs de pression sur la population.
En parallèle, l'instabilité interne et les heurts Hamas/Fatah, depuis décembre 2006, ajoutent un degré supplémentaire au climat de suspicion ambiant et le boycott international du gouvernement Hamas (depuis les élections législatives de 2006) a encore précipité le délitement économique et social.
De peur d'être arrêtés, fouillés, d'attendre pendant des heures avant de finalement se voir refuser le passage, de nombreux habitants ne sortent pas de la ville. Il y a aussi les règles qui empêchent régulièrement les moins de 35 ans (considérés comme des terroristes potentiels) de passer le check point du Sud de la ville.
De fait, cette population s'enfonce lentement dans l'enfermement.
Quel avenir lorsqu’on a 11 ou 18 ans ?
Sur fond de crise économique et politique, on assiste à une montée de la violence sociale et familiale, entre époux, entre frères... Le sens de la famille et la figure patriarcale se délitent. Comment sortir de ce marasme, lorsque la peur vous empêche de dormir, de sortir de la ville, d'étudier ? Lorsque l'on sait que l'on ne trouvera pas de travail ? A quel avenir est t-on voué lorsqu'on a 11 ans, 18 ans, et qu'on a grandi dans la crainte et l'absurde ?
Sur 150 des personnes suivies aujourd'hui par l'équipe MSF de Naplouse, 50 ont vu un membre de leur famille proche être tué par les soldats israéliens, 50 ont été témoins de violences, 65 ont été incarcérés ou ont des membres de leur famille proche incarcérés (fils, maris, pères), 20 ont vu leur maison détruite, et 65 vivent sous stress constant.
Vivre autour d'un proche disparu, pour continuer à le faire exister et de peur de l'oublier : une sacralisation qui ne laisse pas de place aux vivants.
Depuis début 2007, l'équipe de Naplouse fait face à une demande croissante de soins psychologiques, non seulement parce que le contexte se dégrade, mais aussi parce que le bouche à oreille fonctionne et que la confiance en MSF s'installe : aujourd'hui, plus de 60% de nos patients nous ont sollicité de leur propre initiative. Les adolescents nous racontent leurs mois de détention préventive, les tortures. Les enfants nous parlent de leurs cauchemars, de leurs angoisses. Leurs parents pleurent la perte d'un proche, relatent les violences, la dégradation générale des conditions de vie...
Désormais, individus et familles viennent directement solliciter nos psychologues, au bureau, lors d'une consultation chez un voisin ou lorsque nos voitures sillonnent la ville, les quartiers ciblés par les incursions, les camps de réfugiés et les villages environnants qui - isolés par les check-points – ne peuvent accéder aux soins, à l'emploi, aux administrations...
Deux jeunes hommes de 20 ans, se sont ainsi présentés au bureau MSF. Ils viennent de Kufr Qalil, un village où trois grandes familles se livrent régulièrement à des vendetta, une localité également très ciblée par les incursions israéliennes. L'un d'entre eux sort de prison. Celui qui l'accompagnait a aussi demandé à voir notre psychologue : « j'ai vu mon oncle mourir sous mes yeux ». Depuis cinq ans, il erre et parle de suicide. Nous l'avons rapidement pris en charge.
L’accès aux patients pose problème
L'accès aux patients est un véritable problème à Naplouse. Rares sont ceux qui peuvent se déplacer pour consulter : peur des représailles, tendance à l'isolement d'individus affectés psychologiquement, difficulté familiale et sociale pour certaines femmes à quitter leur domicile, stigmatisation, impossibilité de passer les check points...
Autant de raisons qui justifient que nous nous rendions aussi au domicile des patients, au coeur des familles, ce qui permet à nos psychologues d'avoir accès à des cas isolés tout en appréhendant le contexte familial. La visite du thérapeute est parfois très attendue et devient un moment privilégié.
Comme pour L., dix ans, une petite fille qui a perdu un oeil lors de l'explosion d'une bombe, pendant une incursion. C'était il y a un an. Sa grand-mère, qui l'a élevée, souffre de grave dépression, de plaintes somatiques. Elle est suivie par notre psychologue et le médecin MSF lui a prescrit des somnifères. Le travailleur social entame de son côté des démarches pour permettre à la fillette de pouvoir accéder aux structures hospitalières.
Le travail de nos psychologues est compliqué par la multiplicité des causes de souffrance et leur persistance. Régulièrement des séances doivent être interrompues ou des rendez-vous annulés du fait de mauvaises conditions de sécurité.
Depuis le début 2007, nous avons dû cesser nos activités à deux reprises, pendant deux à trois jours, et avons dû limiter nos activités dans certaines zones pendant des périodes allant de quelques jours à deux mois. Les psychologues doivent être suffisamment expérimentés pour pouvoir adapter leur pratique alors que le cadre de suivi des patients est en permanence modifié.
Les thérapies brèves, d'une durée de deux à six mois, ont été évaluées comme étant les plus pertinentes au vu des symptomatologies rencontrées. Le départ anticipé d'un de nos psychologues ou une suspension temporaire d'activité, impliquent une rupture de la relation thérapeutique et il n'est pas aisé pour un psychologue de reprendre une thérapie interrompue.
Malgré tout, alors qu'un cas sur trois présentait un état initialement évalué comme sévère, 80% de nos patients voient leur santé psychologique s'améliorer. Les patients dont le suivi est terminé ont toujours la possibilité de nous contacter à nouveau s'ils en ressentent le besoin, c'est ce que 5% d'entre eux ont fait en 2006 et 2007, après avoir vécu des événements violents. Il est donc possible de mener des thérapies efficaces, dans le long terme et dans un tel contexte, et ce malgré des contraintes extrêmement pesantes.
Au mois de mai, un troisième psychologue a rejoint l'équipe de Naplouse. Malgré les 110 suivis thérapeutiques actuellement assurés, la liste d'attente ne diminue pas et il faudra un à deux mois pour que la quarantaine de patients déjà identifiés puissent eux aussi bénéficier d'un suivi. En dehors des professionnels de MSF, il n'y a que très peu de psychologues cliniciens sur Naplouse pour assurer les thérapies, individuelles et de groupe. Et, étant dans l'impossibilité de suivre et de traiter les cas auxquels elles sont confrontées, les quelques structures travaillant sur la santé mentale se tournent de plus en plus vers nous.