C’est mon père qui avait raison à Hama ; le massacre nous a assuré la stabilité pour une génération. » Ces propos tenus devant des proches par Bachar Al-Assad, à quelques semaines du début de la révolution syrienne en mars 2011, résument la conviction profonde qui anime depuis cinq ans le despote de Damas dans sa répression sanglante à l’origine d’une guerre civile devenue crise régionale.
Hama, ville sacrifiée par Hafez Al-Assad, le père de l’actuel président, pour sceller dans le sang la stabilité de son règne : on estime les victimes à plus de 20 000, sans doute près du double, bilan macabre d’un « nettoyage » maison par maison, tandis qu’un tiers de la ville a été rasé à la dynamite dans le seul but d’envoyer un message au reste de la Syrie et que personne ne puisse oublier le mois de février 1982.
A l’heure où la menace terroriste et la pire crise des réfugiés depuis la seconde guerre mondiale font ressentir leurs effets à travers l’Europe, beaucoup aimeraient voir dans les négociations entre le régime et l’opposition syrienne, censées débuter cette semaine à Genève sous l’égide des Nations unies, la consécration des efforts diplomatiques pour une résolution du conflit en Syrie. Aussi nécessaire que soit une solution politique après plus de 250 000 morts et le déplacement de plus de la moitié de la population, ces négociations sont pourtant vouées à l’échec, à moins que la communauté internationale ne prenne les mesures qui s’imposent pour protéger les civils.
Changer la donne
Le temps joue en la faveur de Bachar Al-Assad et la participation de Damas aux pourparlers n’est qu’une façade en attendant que la peur de Daech et de l’afflux de réfugiés finisse de consumer la détermination politique des gouvernements appelant à son départ. Assad peut aussi compter sur l’effritement probable d’une opposition divisée, pressée de toutes parts de prendre le risque de perdre sa légitimité populaire en venant négocier avec ceux-là mêmes qui continuent de bombarder et d’affamer les civils vivant dans les zones rebelles à travers le pays. Il n’aurait alors plus qu’à affirmer qu’il n’a pas de partenaire pour la paix, un refrain bien trop entendu au Moyen-Orient.
La Russie, enfin, allié stratégique et désormais militaire du régime, maintient son refus d’une réelle transition politique en Syrie, masquant en réalité son impuissance à imposer un départ consenti à un Bachar Al-Assad qui n’entend se laisser dicter son destin par personne.
Il n’est peut-être pas trop tard pour changer la donne et faire des négociations intersyriennes, prévues pour le 29 janvier, un tremplin pour la paix et la protection des civils. La France, qui a démontré son savoir-faire diplomatique lors de la COP21, a aujourd’hui la possibilité de prendre Damas à son propre jeu pour lui forcer la main en vue de la levée des sièges et la fin des bombardements contre les civils, sans lesquelles l’opposition ne saurait accepter de déposer les armes pour former un gouvernement de transition avec des éléments du régime.
97 % des zones assiégées par le régime
A l’heure où certaines voix s’élèvent pour dire qu’il faut taire les sujets de discorde pour ne pas mettre en danger les négociations, la France devrait au contraire poursuivre et amplifier ses efforts pour exiger que toutes les parties mettent immédiatement fin aux sièges et aux attaques contre les civils, conformément au droit international et aux nombreuses résolutions du Conseil de sécurité restées lettres mortes.
D’après les données de l’observatoire des sièges, Siege Watch, une initiative de l’ONG PAX et du Syria Institute, un million de Syriens vivent aujourd’hui sous siège, et 97 % des zones assiégées le sont par le régime. Madaya n’est qu’un des nombreux exemples de ville assiégée où l’armée syrienne a recours à la faim comme arme de guerre, et où les civils continuent de subir chaque jour les bombardements menés par Damas.
La responsabilité de Bachar Al-Assad dans ces actes barbares est primordiale, et la France a le pouvoir de rappeler au monde qu’il ne tient qu’à lui de prouver son sérieux à la table des négociations en mettant immédiatement fin aux sièges et aux attaques contre les civils. Dans le cas contraire, la France devrait parachuter de l’aide alimentaire pour sauver de la faim les Syriens pris au piège dans les zones assiégées avant qu’il ne soit trop tard.