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Tribune du Dr Marie-Pierre Allié, présidente de MSF : "Sahel : les dessous de l'urgence nutritionnelle"

"Sahel : les dessous de l'urgence nutritionnelle"

Une nouvelle crise nutritionnelle s'annonce dans la région du Sahel. Des alertes répétées et des appels à la générosité publique nous le rappellent quotidiennement. Mais que nous apprennent-ils réellement ?
 

Que plus de 600 enfants meurent tous les jours des conséquences d'un manque de nourriture dans le Sahel. Que plus de 500 000 enfants malnutris sévères ont encore été soignés en 2011 dans huit pays sahéliens d'Afrique de l'Ouest. Que le "pic" saisonnier de malnutrition, correspondant à la période de soudure agricole, sera probablement plus grave que d'habitude dans certaines régions, où des facteurs contingents d'ordre climatique, politique ou financier s'ajoutent à la pauvreté, au manque d'accès aux soins ou à une distribution inéquitable des ressources alimentaires. Qu'une catastrophe à l'intensité encore indéterminée menace à nouveau les enfants du Sahel et qu'il s'agit bien d'une réalité cyclique et structurelle.
 

Mais ces appels ne disent pas tout. Ils ne disent pas, par exemple, que l'ampleur de la crise nutritionnelle annoncée va différer fortement d'un pays à l'autre et que leurs capacités d'anticipation et de gestion aussi, même si plusieurs d'entre eux se sont mobilisés dès l'automne dernier. Les contraintes financières, logistiques, mais aussi sécuritaires auxquelles l'aide humanitaire est soumise, ne seront pas partout les mêmes. Au Mali par exemple, l'instabilité politique liée au récent coup d'Etat et le conflit en cours dans le nord du pays, sans oublier les risques d'enlèvements, vont compliquer l'acheminement de l'aide et l'accès aux soins des populations.


Ils ne disent pas non plus, du moins pas assez, que la malnutrition est une maladie, et que d'importants progrès ont été réalisés dans sa prise en charge. Dans la majorité des cas, il est possible aujourd'hui de déléguer le traitement de l'enfant dénutri à sa mère et d'éviter ainsi une hospitalisation systématique. Les programmes de traitement ont pu se développer massivement, décuplant le nombre d'enfants soignés ; c'est le cas du Niger où 300 000 enfants ont été pris en charge en 2011 contre seulement quelques milliers sept ans plus tôt. Cette progression exponentielle reflète bien l'extension des possibilités de traitement, et non l'augmentation de la malnutrition.
 

Sur le plan préventif également, les derniers résultats scientifiques sont encourageants. La distribution de produits enrichis à base de lait aux jeunes enfants réduit considérablement la survenue de la malnutrition et la mortalité associée. Il y a fort à parier que le développement des mesures curatives et préventives n'est pas étranger à la diminution d'un tiers des décès d'enfants avant l'âge de 5 ans observée entre 2005 et 2011 au Niger. La lutte contre la malnutrition a donc bien évolué, même si les mauvaises années continuent de se succéder au Sahel.
 

Dans ces appels et alertes répétés se dégage néanmoins une prise de conscience commune, chez tous les acteurs et décideurs, de la nécessité d'appréhender différemment les crises nutritionnelles au Sahel. La malnutrition a pendant longtemps été associée à une problématique de crise et son traitement à de la médecine de catastrophe : la réponse humanitaire s'est ainsi imposée par défaut pour éviter le décès immédiat d'un grand nombre d'enfants.
 

Or, lorsque l'incidence de la malnutrition atteint 30% chez les enfants nigériens de 6 à 23 mois en 2011, il ne s'agit plus seulement d'une problématique humanitaire, mais bien d'un problème de santé publique. Ces chiffres plaident d'eux-mêmes pour un changement d'approche : dépasser la réponse médicale d'urgence, palliatif nécessaire mais insuffisant, et envisager des réponses viables sur le long terme.
 

En 2012, le dispositif d'urgence humanitaire va encore une fois se déployer. La mobilisation des bailleurs de fonds d'urgence et des organisations humanitaires sera primordiale puisqu'elle continue d'être la seule réponse actuelle à la récurrence des crises nutritionnelles. Mais simultanément, une transition vers des solutions pérennes à plus long terme doit s'amorcer.
 

S'attaquer à la malnutrition comme un réel problème de santé publique demande la mise en œuvre de mesures médicales et nutritionnelles adaptées et efficaces complètement intégrées aux soins de santé de base déjà prévus pour les enfants en bas âge, comme peut l'être la vaccination. C'est sur ce schéma que de nouveaux modèles d'intervention et de financement pourront être mis au point. Pour l'heure, des pistes prometteuses se dessinent : disponibilité de produits nutritionnels moins chers et manufacturés localement, décentralisation du traitement et de la prévention vers du personnel non-médical, mise au œuvre de systèmes simples et peu chers d'accès à la nourriture, financement débloqué par les bailleurs de fonds issus du développement.
 

Le travail de MSF dans la région s'articule dès à présent autour de ce double axe : prise en charge des enfants à risque immédiat de décès dans les régions où la malnutrition risque d'être la plus sévère, c'est le cas de certaines parties du Tchad, du Sénégal ou de la Mauritanie, et poursuites de programmes visant à développer des modèles de traitement et de prévention simplifiés et décentralisés tout en maintenant une qualité de soins égale.
 

Un tournant peut avoir lieu cette année au Sahel : associer à une réponse humanitaire sans précédent l'amorce d'un vrai changement d'approche par les acteurs du développement. C'est par ce changement qu'il sera possible d'espérer reléguer les crises nutritionnelles, et les urgences humanitaires qui les accompagnent, au rôle de dramatiques exceptions, au lieu d'être l'insoutenable règle pour des millions d'enfants.

Notes

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