"Mon mari, mon fils et moi avons quitté Debaltseve pour la première fois en juillet, deux semaines avant le début d’une offensive militaire sur la ville. Nous sommes allés à Konstantinovka, mais avons dû revenir à Debaltseve en octobre parce que mon mari risquait de perdre son travail à cause de son absence.
On comprend maintenant que ces événements en été sont incomparables à ce qui se passe maintenant à Debaltseve. Même avant l’escalade des conflits le 19 janvier, nous pouvions rarement rester dans notre appartement, on était tout le temps réfugiés dans la cave. On a organisé ces abris pendant des mois, on a nettoyé, apporté des matelas et tout ce qu’on pouvait se permettre d’acheter pour améliorer l’endroit. Mais au final, quand les bombardements commencent, on ne choisit pas, on peut juste courir jusqu’à la cave la plus proche.
Il y a eu des périodes sans bombardements, pendant quelques jours, et puis d’autres où on ne pouvait tout simplement pas quitter la cave. Au bout d’un moment, les gens ont cessé de prêter attention aux bombardements constants, ils pouvaient dire si ça venait vers la ville ou de la ville. Une fois, j’ai dû cacher mon fils dans la salle-de-bain, et quand il a regardé dehors, il m’a demandé « ça vient de nous ou vers nous, maman ? ».
Les dix derniers jours dans la ville, nous sommes restés dans la cave sans électricité, sans chauffage. Certains abris datent de la deuxième Guerre Mondiale, ils sont humides et négligés. Il faisait très froid, environ 8 degrés, et nous étions 20 à 25 personnes dans la cave. Les gens ont apporté de la nourriture, mais il n’y avait pas d’électricité alors pour cuisiner, nous avons connecté un mini-four à des bouteilles de gaz.
Toutes les caves de la ville étaient bondées. Il y avait des personnes âgées, des enfants, tout le monde était là, certains étaient malades. Avant le 19 janvier, il était possible d’obtenir des médicaments dans les pharmacies de la ville, mais aucun traitement spécialisé. La nourriture était très chère, parce que l’approvisionnement était de plus en plus compliqué. Il n’y avait plus d’argent, seule une banque continuait à fonctionner dans la ville, mais le problème est que les gens n’avaient plus rien à retirer : toutes les entreprises sont à l'arrêt, les gens ne sont pas payés.
On a été évacués par des volontaires. Un bus devait venir nous chercher à 8h du matin, mais on l’a attendu jusqu’à 15h, il ne pouvait pas bouger à cause des bombardements. C’était angoissant de rester à attendre dehors, près d’un building qui avait déjà été bombardé plusieurs fois. Il aurait suffi d’un bombardement pour que cet endroit devienne notre tombe. Un obus est tombé vers 7h du matin et une femme a perdu sa jambe. Le temps que l’ambulance arrive, cinq heures plus tard, elle était morte...
Presque toute ma famille a été évacuée de Debaltseve, mais certains d’entre eux ont décidé de rester. Maintenant, il n’est plus possible de partir. Ils arrivent de temps en temps à charger leur téléphone, mais c’est rare et pour nous c’est terrible d’attendre qu’ils puissent nous appeler pour nous rassurer. Nous sommes épuisés par cette situation et aussi de nous remémorer ces événements, chaque jour.
Le psychologue de MSF a parlé à mon fils, il dit qu’il va bien. Une dame qui travaille pour le sanatorium vient régulièrement jouer avec les enfants, elle essaie de les amuser et les volontaires apportent des jouets, mais vous pouvez voir ce à quoi ils préfèrent jouer… (elle regarde son fils jouer avec des armes en plastique). J’ai remarqué aussi qu’il ne veut pas s’éloigner de moi. Il est effrayé. J’espère qu’il n’aura pas de séquelles de ces événements, mais seul le temps nous le dira.
Ici, nous recevons de la nourriture grâce à différentes organisations et aux volontaires, et nous espérons en recevoir plus dans les prochains jours. Nous survivons grâce à l’argent que nous avons emporté en quittant la ville.
Nous n’avons pas de projets pour le futur. C’est difficile de continuer à espérer. Tout le monde a été touché, que ce soit psychologiquement ou physiquement. Les gens avaient tout ce dont ils avaient besoin, et maintenant mon fils n’a plus de maison. Malheureusement, on ne peut pas revenir en arrière…"
Témoignage recueilli le 13 février 2015