Le prix des antirétroviraux (ARV) de première et deuxième ligne est en baisse grâce à une concurrence accrue entre producteurs de médicaments génériques. Mais les prix des nouveaux ARV demeurent extrêmement élevés, selon le rapport annuel Untangling the Web- Guide des prix des ARV, présenté aujourd’hui par Médecins Sans Frontières à la Conférence de l’International AIDS Society (IAS) en cours à Kuala Lumpur.
« Cette baisse des prix, attribuable au plus grand nombre de producteurs en concurrence sur le marché, est évidemment une bonne nouvelle. Mais les médicaments les plus récents demeurent hors de prix, explique le Dr. Jennifer Cohn, Directrice médicale de la Campagne d’Accès aux Médicaments Essentiels de MSF. MSF, comme les autres acteurs de soins, a besoin de ces nouveaux traitements pour les patients qui n’ont plus d’autres options thérapeutiques. Mais les brevets continuent de les rendre inaccessibles. Nous devons également surveiller de près l’arrivée de nouveaux médicaments de meilleure qualité sur le marché dans les années à venir, car ce sont ces médicaments que nous devrons mettre en place rapidement. Le problème des prix est tout sauf résolu ».
Au cours des dernières années, de nouveaux producteurs de médicaments sont arrivés sur le marché. Le prix du traitement de première ligne recommandé par l’OMS, en un comprimé par jour (ténofovir / lamivudine / efavirenz) a ainsi diminué de 19% au cours de la dernière année, de 172 à 139 dollars per personne et par an. Certains pays ont même obtenu des prix encore plus bas grâce à des commandes conséquentes.
De façon similaire, grâce à l’arrivée de nouveaux concurrents sur le marché, les prix de deux médicaments-clés utilisés dans le traitement de deuxième ligne (atazanavir / ritonavir et lopinavir / ritonavir) ont diminué de 28% au cours de la dernière année. La moins chère des combinaisons de deuxième ligne (zidovudine / lamivudine + atazanavir / ritonavir) coûte ainsi 303 dollars par an.
Depuis 2006, le prix du traitement de deuxième ligne a baissé de 75%. Toutefois, le moins cher des traitements de deuxième ligne continue de coûter plus du double du traitement de première ligne.
Pour les traitements les plus récents contre le VIH, y compris des classes de médicaments comme les inhibiteurs de l’intégrase, la concurrence des médicaments génériques demeure en revanche très limitée à cause des brevets existants. Ces médicaments demeurent ainsi bien plus chers. Le prix le plus bas pour un traitement de rattrapage (raltegravir + etravirine + darunavir + ritonavir) pour les patients qui ne répondent pas à la deuxième ligne est de 2 006 dollars par an dans les pays les plus pauvres. Cela représente presque 15 fois le prix de la première ligne de traitement. De plus, les pays qui n’ont pas accès à ces prix préférentiels doivent les acheter à un prix bien supérieur. C’est le cas de la Thaïlande et de la Jamaïque, qui paient respectivement 4 760 et 6 570 dollars pour le seul darunavir. Le Paraguay achète l’etravirine à 7 782 dollars par patient et par an, tandis qu’en Arménie, le raltegravir coûte 13 213 dollars, alors qu’il est juste l’un des trois médicaments nécessaires dans la combinaison thérapeutique.
Une autre priorité doit être la garantie que les médicaments à venir vont avoir des prix accessibles. Les spécialistes du VIH s’accordent à dire que de nouveaux médicaments efficaces et peu toxiques, comme le dolutegravir, un inhibiteur de l’intégrase, pourraient être utilisés à l’avenir dans les premières ou deuxièmes lignes de traitement, ce qui rend l’accès à ces médicaments encore plus urgent.
« L’augmentation du nombre de personnes sous traitement, et leur maintien sous traitement à vie, va dépendre de la diminution du prix des médicaments les plus récents, précise Arax Bozadjian, pharmacien VIH à la Campagne d’Accès MSF. Pour l’instant, la majorité des médicaments VIH les plus récents n’a pas d’équivalent génériques de qualité certifiée. Les prix dans les pays à revenus moyens sont également un sujet d’inquiétude. Les conditions des accords de licence volontaire ne sont pas assez bonnes, car la plupart d’entre elles n’adopte pas un point de vue de santé publique et de nombreux pays à revenus moyens en sont exclus. Ceci limite l’accès de ces pays aux combinaisons thérapeutiques dont ils auraient extrêmement besoin ».
C’est grâce à l’ ‘opposition aux brevets’ en Inde, pays qui produit de nombreux médicaments génériques, que les prix des combinaisons de première et deuxième ligne ont diminué, grâce à l’entrée sur le marché de nouveaux producteurs de génériques. Alors que les nouveaux médicaments VIH sont de plus en plus souvent protégés par des brevets dans les pays producteurs de génériques, il est nécessaire de trouver des solutions qui permettent de faire diminuer les prix. Les demandes de brevets qui ne respectent pas les conditions de brevetabilité du pays devraient être rejetées. Ce principe a été réaffirmé par la Court Suprême indienne lors de son jugement en défaveur de Novartis en avril 2013. Lorsque les brevets empêchent l’accès aux médicaments, des licences obligatoires devraient être délivrées, dans une optique de santé publique. L’Inde a promulgué la première licence obligatoire en 2012 pour un médicament anti-cancer qui a été jugé trop cher, et de décisions similaires devraient être prises pour contourner les prix inaccessibles des médicaments contre le VIH.
« Dans notre hôpital de Bombay, de plus en plus de patients ont besoin des nouveaux médicaments contre le VIH, qui sont très chers. Ni nous ni les autorités indiennes ne pouvons nous permettre de payer ces prix sur le long terme, explique Leena Menghaney, responsable de la Campagne d’Accès de MSF en Inde. Les pays doivent s’attaquer frontalement au problème des prix des médicaments, en s’assurant que des brevets illégitimes ne sont pas reconnus, et en promulguant des licences obligatoires pour la production de médicaments génériques peu chers lorsque les médicaments sont hors de prix ».
Un deuxième rapport présenté par MSF à la conférence de l’IAS, Putting HIV Treatment to the Test, compare les prix des tests de mesure de la charge virale du VIH. La mesure de la charge virale est le procédé recommandé pour le suivi du traitement antirétroviral dans les pays développés. Comparé au suivi clinique et immunologique (CD4), il peut montrer plus rapidement et de façon plus précise d’éventuels problèmes dans la prise du traitement, nécessitant d’un soutien à l’observance, voire une situation d’échec thérapeutique. Les nouvelles recommandations de l’OMS en la matière préconisent aussi l’utilisation du suivi de la charge virale dans les pays en développement.
Mais les prix élevés et les contraintes logistiques ont pour l’instant restreint le déploiement de ces technologies dans les pays en développement.
« L’objectif de tout programme de traitement du VIH devrait être de maintenir les patients à un niveau ‘indétectable’ de virus dans le sang, grâce à la suppression du virus par les ARV, poursuit le Dr. Cohn. La mesure de la charge virale est le meilleur outil pour garder les patients le plus longtemps possible sous traitement de première ligne, qui est moins cher, et de ne mettre sous traitement de deuxième ligne que les personnes qui en ont réellement besoin. Le prix de la deuxième ligne de traitement étant en baisse, il est temps de commencer à mesurer la charge virale des patients afin de s’assurer qu’ils sont en train de suivre un traitement qui marche, au lieu d’attendre que ce soit trop tard, qu’il tombent à nouveau malades ou qu’ils meurent ».
MSF fournit aujourd’hui des traitements antirétroviraux à 285 000 personnes dans 21 pays.
Avec le soutien de UNITAID, MSF essaie actuellement de comparer et démontrer la faisabilité du suivi de la charge virale de routine de façon décentralisée, ainsi que la mesure du CD4 sur les lieux de soins pour la mise sous traitement. Pour cela, MSF mène des activités de recherche opérationnelle en comparant différentes approches dans sept pays d’Afrique Sub-saharienne.