"Résister à la tentation du rationnement"
Communiqué de presse
La
campagne de MSF pour l'utilisation massive d'aliments adaptés dans les
régions de forte mortalité liée à la malnutrition a été accueillie par
les institutions internationales, Nations unies et bailleurs de fonds
comme une requête fondée. Seuls des obstacles pratiques expliqueraient
pourquoi une minorité des enfants les plus en danger ont accès à un
traitement nutritionnel. Ces obstacles sont facilement surmontables,
explique Jean-Hervé Bradol, président de Médecins Sans Frontières, à
condition d'en avoir la volonté politique.
Quels sont les arguments qui vous sont opposés lorsque vous demandez l’élargissement de l’utilisation de ces aliments hautement nutritifs et prêts à l’emploi dans les foyers de mortalité ?
Nous demandons, logiquement, que ces pâtes nutritives soient plus largement utilisées. Elles sont aujourd'hui exclusivement réservées aux enfants les plus dénutris, lorsqu'ils ont atteint un risque de décès vingt fois supérieur à celui d'un enfant bien nourri. Il est de la responsabilité des institutions des Nations unies d'adopter des recommandations pour ne plus attendre que les enfants soient au dernier stade de la maladie avant d'avoir le droit de recevoir un aliment adapté. Et c'est le rôle des bailleurs de fonds de financer l'approvisionnement de ces produits hautement nutritifs.
Nous nous heurtons à deux types de réponse : les institutions des Nations unies hésitent à considérer sérieusement la question de l'élargissement des recommandations en opposant un soi-disant réalisme économique. Les bailleurs de fonds se disent d'accord mais attendent pour s'engager des recommandations officielles des Nations unies. Finalement, chacun se défausse sur l'autre et aucun n'assume sa propre responsabilité. C'est un cercle vicieux qui peut durer longtemps alors que nous sommes face à une urgence médicale !
N’y a t’il pas un déficit d’arguments scientifiques en faveur de l’intérêt médical de ce type d’aliments, au-delà des cas de dénutrition sévère ?
Jusqu'ici, donner du lait dans des pays où l'eau est rarement de qualité et les conditions d'hygiène assez pauvres était plutôt dangereux. C'est pourquoi le lait, donné sous contrôle médical, était exclusivement réservé aux plus dénutris dans les pays en développement. Aujourd'hui, avec ces aliments prêts à l'emploi, nous avons enfin la possibilité de distribuer un traitement efficace dans de bonnes conditions dans les foyers de malnutrition et de mortalité. Il n'y a plus aucune raison de rationner, de refuser qu'un enfant malade reçoive un aliment à base de lait, dont les vertus nutritionnelles sont reconnues.
Il n'y a pas à prouver l'évidence, la littérature scientifique comme l'expérience historique atteste de l'efficacité de donner un aliment hautement nutritif pour faire baisser la mortalité infantile liée à la malnutrition. La question est plutôt pourquoi refuser d'appliquer dans les pays du Sud la politique que nous avons mise en place avec succès dans nos propres pays ? Quand une famille est trop pauvre pour acheter une alimentation adaptée à son enfant, est-ce que nous demandons une preuve scientifique avant de lui fournir du lait, de l'huile et du sucre ? Est-ce que nous estimons que cela coûte trop cher ?
Au prix de trois euros le kilo, vous mentionnez vous-même le prix comme un obstacle. Est-ce économiquement réaliste ?
Soyons clairs, nous parlons de lait, d'huile, de sucre et de quarante vitamines et minéraux essentiels, pas de technologie de pointe ou de produits rares ! Ces produits nutritionnels peuvent être fabriqués localement. Plusieurs options sont possibles, réorienter une petite partie de l'aide internationale vers la fabrication de ces aliments ou trouver de nouveaux financements. Il s'agit de plusieurs centaines de millions d'euros à l'échelle internationale pour les gros foyers de mortalité liée à la malnutrition. L'exemple récent de la taxe sur les billets d'avion Unitaid prouve que des sommes de cet ordre de grandeur ont rapidement pu être mobilisées pour une cause de santé publique.
Dans son rapport remis à Jacques Chirac en 2004, l'inspecteur général des Finances Jean-Pierre Landau concluait que, via des contributions imposées ou volontaires, il était possible de lever des centaines de milliards, sans perturber l'économie, pour le développement.
Il ne s'agit pas pour nous de recommander tel ou tel modèle économique, ce n'est pas notre spécialité, mais nous ne pouvons pas accepter l'argument économique pour justifier l'inaction. C'est non seulement réalisable mais c'est en plus, à en croire la Banque Mondiale, un excellent investissement !
Dans un rapport récent, cette institution internationale a recommandé des actions ciblées pour améliorer la nutrition dans les pays en développement, constatant que l'absence de politique efficace contre la malnutrition était un frein à la croissance.
Ni les institutions des Nations unies ni les bailleurs de fonds n’auraient donc la volonté politique de lutter contre la mortalité des enfants de moins de cinq ans ?
La résistance culturelle était censée venir des mamans des enfants malnutris, qui n'auraient pas voulu emmener leurs petits dans un centre de soin, qui n'auraient pas su utiliser ces aliments prêts à l'emploi... Elles nous ont prouvé, au contraire, que dès lors que nous leur offrons la possibilité de donner à leurs enfants un aliment adapté, elles sont prêtes à marcher des heures, régulièrement, pour cela et à le donner suivant les indications chaque jour.
En revanche, il est parfois difficile de convaincre les autorités des pays les plus concernés car la malnutrition est considérée comme un problème stigmatisant.
De plus, les institutions des Nations unies comme les bailleurs de fonds sont très réticents à l'idée de distribuer massivement des produits hautement nutritifs aux jeunes enfants, quelques soient les évidences médicales ou économiques. Jusqu'ici, les efforts ont principalement portés sur des projets de développement dont l'objectif était soit de changer les habitudes alimentaires de la famille soit d'augmenter les quantités de nourriture disponible, dans l'idée, trop souvent illusoire, d'une indépendance proche.
Mais aucune politique n'a encore permis d'éviter que chaque année des millions d'enfants soient en danger de mort faute d'une alimentation adaptée.
L'élargissement de l'utilisation de ces traitements pourrait se faire sans bouleverser le monde, l'économie ou l'organisation des sociétés. La révolution à laquelle nous appelons peut facilement être menée, à condition d'avoir la volonté politique. En l'absence d'engagements réels dans cette direction, les institutions des Nations unies et les bailleurs de fonds devront assumer la responsabilité politique de rationner ces aliments adaptés qui peuvent sauver des vies.
2- Tuberculose- rougeole-dyphtérie-tétanos-poliomélyte-coqueluche)