Les
nouveaux traitements de première ligne recommandés par l'OMS peuvent
être jusqu'à six fois plus chers que les combinaisons les plus
utilisées aujourd'hui. De plus, en raison de la résistance
pharmacologique ou des effets secondaires, le passage à de nouveaux
traitements se révèle souvent nécessaire pour les patients sous
antirétroviraux (ARV). Si une résistance apparaît, les malades doivent
pouvoir bénéficier de nouveaux médicaments, sans lesquels ils
retomberont malades et mourront. Ces traitements de seconde ligne
peuvent être jusqu'à 50 fois plus coûteux.
"L'expérience de
l'année dernière nous a appris deux choses. Premièrement, le coût des
traitements devrait véritablement exploser dans les années à venir si
aucune mesure n'est prise pour lutter contre cette tendance.
Deuxièmement, il ne faut pas attendre des entreprises pharmaceutiques
qu'elles résolvent ce problème. Un changement radical de stratégie
s'impose, a déclaré le Dr. Tido von Schoen-Angerer, directeur de la
Campagne d'accès aux médicaments essentiels de MSF. Vu le niveau actuel
des prix, il ne fait aucun doute que le coût de l'accès aux nouveaux
médicaments signera la faillite des programmes de traitement, et malgré
cela, les gouvernements, l'industrie pharmaceutiques et les agences
multilatérales sont loin de s'être activement attaqués à cette
question."
Aujourd'hui, plus de 80.000 patients de plus de 30
pays bénéficient d'un traitement ARV proposé dans le cadre de 65
programmes de MSF. Dans notre programme en Afrique du Sud - un des plus
anciens programmes MSF de traitement du sida - 17,4% des patients sous ARV depuis cinq ans ont dû passer à un
traitement de seconde ligne. Au Malawi, où 11.000 personnes bénéficient
d'un traitement ARV dans les programmes MSF, près de 1600 patients
risquent de devoir passer à de nouvelles combinaisons thérapeutiques
dans les trois ans. Un traitement de seconde ligne qui absorbera
jusqu'à 70% de la totalité du budget MSF consacré au traitement.
"C'est
l'existence de médicaments génériques à un coût abordable qui a permis
d'introduire les thérapies antirétrovirales dans les pays en
développement, explique le Dr. von Schoen-Angerer. Les programmes
thérapeutiques échoueront si un approvisionnement continu en versions
génériques de ces nouveaux médicaments n'est pas assuré."
La
concurrence introduite par les génériques depuis 2000 a permis de faire
baisser le prix de certains médicaments de première ligne de 99%, soit
de 10.000 à environ 130 $ par patient par an. Pourtant, les prix des
nouveaux médicaments resteront élevés, en raison des obstacles, en
termes de brevets, que rencontrent les grands pays producteurs de
génériques comme l'Inde. Outre le problème du coût, ces nouveaux
médicaments ne sont souvent pas commercialisés dans les pays en
développement.
"De nombreux nouveaux médicaments ne sont même
pas disponibles dans les contextes où nous travaillons, car leur
enregistrement n'est pas une priorité pour les firmes pharmaceutiques,
précise le Dr. Moses Massaquoi, qui travaille pour MSF au Malawi. Il
est tout simplement inacceptable de devoir attendre tant d'années pour
pouvoir utiliser des médicaments couramment utilisés dans les pays
riches... quand ils finissent par arriver !"
Le ténofovir, un des médicaments utilisés dans le traitement du sida les plus souvent prescrits dans les pays riches, et qui figure
également sur la liste de médicaments recommandés par l'OMS, a reçu son
autorisation de mise sur le marché en 2001 aux Etats-Unis. Pourtant,
Gilead, son fabricant, ne l'a fait enregistrer que dans environ 15 des
97 pays en développement qui remplissaient les conditions requises pour
bénéficier d'un prix réduit. Il y a plus d'un an qu'Abbott a lancé une
version améliorée d'un de ses antirétroviraux ? le lopinavir/ritonavir
résistant à la chaleur ? aux Etats-Unis. Pourtant, cette combinaison
n'a pas encore été enregistrée dans le moindre pays en développement,
alors que cette nouvelle formule est bien mieux adaptée aux régions
tropicales. Pour la plupart des pays en développement situés en dehors
de l'Afrique, comme la Thaïlande et le Guatemala, l'entreprise a
indiqué un prix de l'ordre de 2.200 $ par an, un prix qui dépasse
largement le revenu annuel moyen dans ces pays.
La réunion de haut niveau de l'OMS, de l'ONUSIDA et de la Banque mondiale qui s'est terminée aujourd'hui à Washington DC
semble ne pas avoir jugé utile de s'attaquer au problème des brevets
pharmaceutiques, qui ne cessent d'entraîner la hausse des prix des
traitements.
"L'argent des bailleurs de fonds ne devrait pas
être gaspillé par l'achat de médicaments dont le prix est surévalué.
Faire baisser au maximum le prix des médicaments doit être notre
priorité, conclut le Dr. von Schoen-Angerer. Les organisations
internationales, les donateurs et l'industrie pharmaceutique doivent
revoir de fond en comble leur stratégie pour faire une réalité de
l'accès universel au traitement à vie du sida. Pour cela, il faut amener les entreprises à revoir leur stratégie en matière de brevet."