Les premières informations sur des déplacements de populations ont été transmises début mars à l’équipe MSF qui effectuait alors une campagne de vaccination contre la fièvre jaune dans le district de Goz Beida. Quelques semaines plus tard, MSF mettait en place à Tissi un programme d’urgence : aide médicale, accès à l’eau potable et distribution de biens de première nécessité tels que du savon, des abris ou des bâches plastiques. Les réfugiés racontent les attaques contre leur village incendié, les pillages et le harcèlement des villageois qui n’avaient pas d’autre option que la fuite.
Pour mieux comprendre les circonstances qui ont provoqué ces déplacements massifs de populations, MSF a sollicité Epicentre* pour mener une enquête de mortalité rétrospective du 9 au 18 mai à Haraza et Tissi. Les informations ont été recueillies auprès de plus de 15 000 personnes, soit 2 658 familles, moitié réfugiées soudanais, moitié migrants tchadiens.
Premier résultat significatif : la majorité des décès ont eu lieu au Darfour avant de traverser la frontière tchadienne. « Cette enquête confirme que les violences commises dans cette partie du Darfour sont effectivement la cause majeure de mortalité parmi les réfugiés, » déclare Delphine Chedorge, coordinatrice des urgences pour MSF. Le rapport souligne que 61% des 194 décès rapportés sont dû aux violences qui ont précédé les deux grandes vagues de déplacements, la première début février et la seconde début avril.
« J’étais à Abugaradil quand j’ai vu arriver des véhicules, raconte Sadam**, un homme de 33 ans arrivé à Tissi au mois d’avril. J’ai été touché par une balle qui m’a blessé au bras droit. Beaucoup de villageois ont été tués. Mes frères m’ont transporté pendant une heure et demi en charrette jusqu’à l’hôpital de Tissi. »
La grande majorité des réfugiés interrogés par MSF à Tissi est originaire d’Abugaradil : ils ont rapportés 71 décès pour ce seul village quand il a été attaqué entre le 2 et le 9 avril. « Ces résultats caractérisent un épisode de violence particulièrement aiguë à Abugaradil et lève de graves inquiétudes sur la situation humanitaire dans la région », estime Delphine Chedorge.
De juin à septembre, les pluies isolent quasiment toute la région de Tissi et les programmes de MSF ont dû être réduits. Une équipe médicale a néanmoins été maintenue à Tissi et continue de recevoir des patients.
La semaine dernière, les équipes MSF ont soigné 30 nouveaux blessés, dont 13 souffraient de blessures par balle et ont dû être évacués vers la ville voisine d’Abéché pour y recevoir des soins chirurgicaux spécialisés. C’est la plus importante vague de blessés reçus par MSF au cours de ces deux derniers mois.
* Epicentre est un centre de recherche épidémiologique, créé en 1987 par des médecins de MSF.
** Le prénom a été modifié
Note aux éditeurs:
- Environ 30 000 réfugiés Soudanais et 20 000 migrants Tchadiens de retour ont fui vers la région de Tissi au Tchad les combats intercommunautaires qui font rage au Darfour depuis début 2013.
- Une enquête de mortalité rétrospective auprès des personnes déplacées a été réalisée dans trois sites près de Hazara et Tissi du 9 au 18 mai 2013. La période concernée par l’enquête s’étalait du 24 janvier 2013 à la date de l’enquête.15 304 personnes ont été interrogées, dont 50,7 % étaient des migrants Tchadiens de retour et 49,3 pour cent étaient des réfugiés Soudanais.
- Le taux de mortalité pendant la période de l’enquête était de 1,20 pour 10 000 par jour ; de 0,44/10 000/jour pour les femmes et de 2,03/10 000/jour pour les hommes. Pour les moins de cinq ans, le taux a atteint 1,28/10 000/jour et pour les moins de quinze ans 1,84/10 000/jour. Le seuil d’urgence pour les adultes est de 1,0.
- La violence est la cause de 61.3 % des décès, atteignant les 83.5% chez les plus de 15 ans. Sur les 119 personnes décédées de mort violente signalées parmi les retournés et les réfugiés, les familles ont rapporté que 111 (93.3%) ont été tués par armes à feu, 3.4% par d’autres armes et 2.5% par le feu.
- Les familles racontent que 23 morts sont survenues après leur arrivée au Tchad. 57.4% des personnes interrogées lors de l'enquête ont moins de 15 ans. Au total, il y a moins d’homme interrogés entre 15 et 40 ans qu’il n’y a de femmes du même âge.
MSF intervient au Tchad depuis plus de 30 ans et en plus des opérations de réponse aux urgences mène des projets réguliers à Abéché, Massakory, Am Timan et Moïssala.