Comment les équipes de MSF ont-elles pu soigner 63.000 enfants
gravement dénutris au Niger en 2005, bien plus que lors de toutes nos
interventions précédentes ? La crise nutritionnelle dans ce pays ne
colle pas au portrait type de la famine provoquée par la guerre et les
déplacements massifs de populations ou organisée par des régimes
autoritaires. Et pourtant...
En
2005, pour la seule région de Maradi, 39 353 enfants souffrant de
malnutrition sévère ont été admis dans notre programme de nutrition
thérapeutique, soit quatre fois plus qu'en 2004. Dans certaines zones
rurales du sud de Maradi, près de la moitié des enfants de 6 mois à
deux ans ont subi un épisode de malnutrition aiguë sévère pendant
l'année. Plus de 95% de nos patients étaient âgés de moins de 30 mois
et 60% ont été soignés par nos équipes entre mi-juillet et octobre
(plus de 80% entre juin et novembre), pendant la période dite de
soudure, entre la fin des réserves alimentaires familiales et le début
des récoltes suivantes.
Pénurie nutritionnelle
Ces quelques données suffisent à prouver que les pratiques alimentaires
des bébés et des jeunes enfants ne sont pas seules responsables de
variations saisonnières et annuelles d'une telle ampleur. Ces dernières
ne peuvent non plus être expliquées seulement par une exposition accrue
à la maladie et au manque d'accès aux soins et à l'eau potable. Elles
sont en grande partie le fait de la pénurie nutritionnelle subie
pendant la période de soudure, en particulier les années de mauvaises
récoltes. Durant ces périodes, le manque de qualité et de diversité du
régime alimentaire auquel les familles les plus pauvres ont accès joue
un rôle déterminant dans la malnutrition des enfants.
Le
rôle des carences en micro-nutriments (métaux en trace, soufre,
phosphore, certaines vitamines, etc.) dans la malnutrition aiguë de
l'enfant est en effet de plus en plus reconnu par les médecins
nutritionnistes. Les régimes monotones à base de céréales des
populations rurales pauvres sont dépourvus de ces micro-nutriments et
ont un effet dévastateur sur la santé et la survie, en particulier chez
les enfants pendant les deux premières années de leur vie. L'accès à un
produit alimentaire adapté aux besoins nutritionnels de la petite
enfance est donc absolument crucial pour inverser la situation et
limiter le nombre de décès dû à la malnutrition.
Un produit à l'efficacité prouvée
Or ce produit existe ! Facile à utiliser, efficace et permettant le
rétablissement des enfants dénutris sans hospitalisation, c'est lui qui
a permis à MSF d'admettre un nombre record de patients dans ses
programmes alimentaires au Niger en 2005. L'introduction des aliments
thérapeutiques prêts à l'emploi (RUTF) il y a plus de 5 ans ouvre des
perspectives plus que prometteuses dans le traitement de la
malnutrition à très grande échelle. Ces produits riches en nutriments
se présentant sous la forme d'une pâte énergétique prête à l'emploi
n'exigent ni préparation ni addition d'eau, ne peuvent être contaminés
et sont élaborés pour permettre un gain rapide de poids. Ils sont
adaptés aux enfants dénutris qui ont perdu l'appétit et dont les petits
estomacs ont besoin de consommer de grandes quantités de calories. Ces
différentes vertus font que les RUTF se prêtent à un suivi médical
considérablement allégé et permettent, dans la plupart des cas,
d'éviter l'hospitalisation. Les mères comprennent immédiatement la
nature thérapeutique du produit et leurs enfants gravement dénutris
peuvent prendre 1 à 2 kilos en quelques semaines.
Les
résultats médicaux que nous avons obtenus au Niger en 2005 auprès d'un
très grand nombre d'enfants sont exceptionnels. Plus de 91% des
patients (soit 34 247 enfants) souffrant de malnutrition sévère admis
dans notre programme de Maradi ont été guéris, dans une durée moyenne
d'un mois. Plus de 65% ont été suivis directement en ambulatoire, à
raison d'une consultation par semaine, et la majorité n'a jamais eu à
subir d'hospitalisation. Près de 85% des patients ont finalement
terminé leur traitement en tant que patients externes. Seuls les
enfants souffrant de complications telles que l'anorexie, la perte de
poids, une infection grave ou l'anémie ont été admis dans nos centres
hospitaliers de Maradi. Parmi eux, nous avons eu à déplorer un millier
de décès. Toutefois, plus de 6.200 patients en sont sortis guéris ou
ont réintégré un programme de soins externes après avoir passé moins de
2 semaines à l'hôpital.
Apporter une réponse médicale dès aujourd'hui
A l'évidence, les initiatives d'éradication des causes sous-jacentes de
malnutrition sont essentielles et doivent être soutenues. Toutefois,
les nouveaux produits thérapeutiques et les stratégies de traitement
sans hospitalisation permettent d'offrir un traitement efficace DÈS
AUJOURD'HUI à beaucoup plus de patients, y compris dans les situations
de faim chronique qui génèrent le plus grand nombre de cas de
malnutrition aiguë et de décès liés à celle-ci. A cette fin, les RUTF
doivent être largement diffusés et plus accessibles, à un prix beaucoup
moins élevé. Il n'y a aucune raison que cela ne puisse se faire. La
malnutrition aiguë ne peut plus être perçue exclusivement comme une
fatalité tragique exigeant des initiatives à long terme et des
solutions durables. Elle peut désormais être traitée de manière simple,
efficace et moins coûteuse, et doit donc être considérée comme une
maladie négligée, très répandue, souvent fatale appelant une réponse
médicale immédiate.
Docteur Milton Tectonidis