Gaza : « Se faire tuer en cherchant à fuir, ou mourir assiégé à domicile, voilà l’impossible choix offert par Israël à la population de Gaza »

Destructions autour de la clinique MSF dans la ville de Gaza en juin 2024.
Destructions autour de la clinique MSF dans la ville de Gaza en juin 2024. © MSF

Cette tribune, signée par Isabelle Defourny, présidente de Médecins Sans Frontières (MSF) France et Christopher Lockyear, secrétaire général de MSF, a été originellement publiée dans le journal Le Monde le 19 novembre 2024.

Depuis un an, nous sommes témoins à Gaza de violences extrêmes contre les civils. Au cours des derniers mois, nous nous sommes rendus à Gaza afin de soutenir les équipes de Médecins sans frontières (MSF) sur place, et avons visité la « zone humanitaire », déclarée sûre par Israël qui l’attaque pourtant régulièrement.

Le 13 novembre, un projectile est tombé à 250 mètres de notre clinique, sans préavis. Près de 1,5 million de personnes, déplacées de force, ont été contraintes de se rendre dans la zone humanitaire et y survivent dans une grande précarité. Si cela est possible, nos collègues nous racontent, dans le Nord, une situation pire encore.

Depuis début octobre, la population des districts de Beit Hanoun, Jabaliya et Beit Lahya, dans le nord de Gaza, est soumise à l’une des attaques les plus violentes depuis le début de la guerre. L’armée israélienne bombarde des quartiers entiers, multipliant les massacres, tout en émettant des ordres d’évacuation impossibles à suivre. Parmi ceux qui essayent de fuir, beaucoup se sont fait bombarder ou tirer dessus, tandis que d’autres ont été arbitrairement arrêtés et détenus.

Nos collègues et leurs familles sont les témoins directs et impuissants de la férocité de l’offensive. Ils ont peur de mourir et à juste titre.

Le 10 octobre, notre collègue Nasser Hamdi Abdelatif Al Shalfouh a été tué par des éclats d’obus. Le 14 octobre, un physiothérapeute de MSF et son fils ont été blessés. Le 24 octobre, Hasan Suboh, un employé de MSF, a été tué dans une attaque israélienne sur le bâtiment où il se trouvait à Khan Younès. Au total, huit de nos collègues ont été tués à Gaza depuis le 7 octobre 2023.

Après deux semaines de siège total début octobre, Israël a autorisé l’entrée de quelques camions humanitaires dans le nord de Gaza. Cela est dérisoire par rapport à la quantité d’aide qui serait nécessaire.

Début octobre, les forces israéliennes ont assiégé les trois principaux hôpitaux de la zone, l’hôpital indonésien, Al-Awda et Kamal-Adwan, où se trouvaient des centaines de patients. Le 19 octobre, un médecin de MSF, qui s’était réfugié dans l’hôpital Kamal-Adwan, décrivait la situation désastreuse dans la structure assiégée, débordée de patients et manquant de matériel médical. Entre le 25 et le 28 octobre, puis début novembre, l’hôpital a été attaqué par les forces israéliennes, qui ont également arrêté et détenu des dizaines de travailleurs médicaux, dont le docteur Mohammed Obeid, l’un de nos collègues.

Les structures médicales, gravement endommagées ou mises hors service, ne peuvent plus prendre en charge les blessés, qui sont donc condamnés à mort.

Depuis mi-octobre, le nombre de consultations effectuées chaque semaine dans notre clinique dans la ville de Gaza a plus que doublé, à cause de l’arrivée des personnes déplacées depuis le nord de Gaza.

Les attaques actuelles dans le nord de Gaza, particulièrement brutales, sont la suite logique de la stratégie adoptée jusqu’à présent par l’armée israélienne. Depuis le début de l’offensive menée en réponse aux massacres du Hamas le 7 octobre 2023, nous avons assisté à une campagne de bombardements aveugles, accompagnée d’ordres d’évacuation fondés sur le mensonge de l’existence de « zones sûres ».

Se faire tuer en cherchant à fuir, ou mourir assiégé à domicile : voici l’impossible choix offert par Israël à la population de Gaza. L’espoir d’atteindre une destination sûre hors de l’enclave est également interdit, tous les points de passage permettant la sortie de Gaza étant fermés depuis le mois de mai. Nous avons exigé à de multiples reprises la réouverture de ces points de passage, et notamment de celui de Rafah, accompagnée de garanties sur le droit au retour de la population.

Le plan Eiland terrorise la population. Il s’agit d’un plan militaire qui consisterait à éliminer les Palestiniens de la partie nord de Gaza, en les forçant à partir, en les tuant ou en affamant ceux qui restent. La manière dont est menée l’offensive en cours dans le Nord et le langage déshumanisant que les autorités israéliennes emploient à l’égard des Palestiniens renforcent l’idée que nous assistons à l’exécution de ce plan.

A Gaza, les atrocités s’accumulent. Israël a tué plus de 43 000 personnes, dont 14 000 enfants, et en a blessé plus de 100 000, selon le ministère de la santé du Hamas. Nos collègues sont les premiers témoins des horreurs de ce pilonnage incessant : des enfants brûlés, d’autres avec des membres écrasés après avoir été ensevelis sous les décombres pendant des heures ou ayant subi des amputations sans anesthésie.

Au cours de nos visites, même si nous nous attendions au pire, nous avons été choqués par l’ampleur des destructions : habitations, infrastructures d’eau et d’électricité, écoles, universités, mosquées, églises, hôpitaux, archives publiques, sites historiques. Nos collègues nous ont raconté la destruction de la vie sociale, de l’enfance, de l’espoir et même de la mémoire : les photos et les souvenirs ont été détruits. Toutes les composantes d’une société ont été détruites.

En janvier, la Cour internationale de justice a ordonné à Israël de cesser de tuer des civils palestiniens, de mettre fin aux déplacements forcés, de garantir l’accès à l’aide humanitaire et de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour mettre fin à l’anéantissement de la bande de Gaza. Dix mois plus tard, aucune action concrète n’a été prise pour prévenir un génocide. Au contraire, les forces israéliennes continuent de tuer quotidiennement et de rationner l’aide qui rentre à Gaza, dont la quantité n’a jamais été aussi faible. Cela grâce notamment au soutien de ses alliés occidentaux, et en particulier des Etats-Unis.

Le vote de la Knesset du 28 octobre, interdisant à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) de travailler en Israël, est le dernier coup dévastateur porté aux capacités d’apporter des secours aux Palestiniens. Il est urgent que cesse l’impunité dont bénéficie Israël et que ses alliés mettent fin à leur soutien inconditionnel à la campagne israélienne d’anéantissement des Palestiniens de Gaza.

Notes