Tribune : « Mettons fin au silence assourdissant à Calais »

Olivier Marteau, coordinateur du projet Calais pour MSF et Mathilde Berthelot, responsable de programmes pour MSF

Deux jours après le début du démantèlement du camp de Calais, cinq migrants de nationalité iranienne se sont rendus mercredi dans l’antenne de Médecins sans frontières située dans la zone sud de la « jungle ». Ils ont demandé à notre équipe de leur coudre la bouche avec du fil et une aiguille. Nous avons refusé de pratiquer cet acte contraire à notre raison d’être. Nos tentatives de les dissuader d’accomplir ce geste ont par ailleurs été vaines. De retour dans un abris de fortune prêté par le collectif No borders, les cinq résidents de la jungle ont entamé une grève de la faim et se sont cousus la bouche. Le lendemain, deux autres de leurs compatriotes ont accompli ce geste. Des premiers soins et des médicaments leur ont été prodigués.

Avant la violence du symbole, cet acte d’automutilation traduit le désespoir de personnes qui, confrontées à des conditions d’existence particulièrement révoltantes, ont encore le courage d’affronter la douleur et de mettre leur propre vie en jeu face à la dernière d’une longue liste d’humiliations et de violences : le démantèlement du camp de Calais.

Des rumeurs circulent dans ce qu’il reste du camp. D’autres personnes envisagent de s’automutiler à leur tour. Si rien ne change, les Iraniens qui ont la bouche cousue envisagent à présent de se coudre les paupières. Ils sont déterminés à aller jusqu’au bout et demandent que le harcèlement cesse, que celles et ceux qui le souhaitent puissent gagner l’Angleterre, qu’ils puissent parler et qu’ils soient entendus plus qu’on ne parle pour eux.

S’il n’est pas question de cautionner ces actes d’automutilation, encore moins de les encourager, nous ne pouvons en revanche qu’appuyer leurs demandes, et insister sans relâche pour une révision d’une politique funeste adoptée par les gouvernements anglais et français qui réduisent le sort d’êtres humains à un marchandage entre États.

Au-delà, ce geste aussi symbolique que violent interroge des ONG comme la nôtre qui, à travers leurs activités de soins et d’assistance, prennent le risque de contribuer à la dépolitisation du sort des migrants par le biais d’une représentation victimaire. Comment aider les migrants à accéder à la parole publique ? Comment lester leur revendication d’un poids politique ? Comment éviter de parler à leur place au prétexte de parler pour eux ? Comment ne pas en arriver là ?

Il est urgent de changer le cadre du débat sur les migrants, borné d’un côté par le rejet et la répression, de l’autre par la tentation d’une représentation centrée sur la victime, à qui l’on ôte jusqu’à la possibilité de s’exprimer autrement qu’en lui faisant dire ce que l’on attend d’elle : accepter l’inacceptable et baisser la tête. Se réclamant de tous les migrants par un acte qu’on ne peut que réprouver, sept Iraniens viennent d’ébrécher ce cadre. Il est urgent de les entendre.

Cette tribune a été publiée en premier lieu sur Le Monde

 

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